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Deux volumes, à ce qu’on nous apprend, et chargés de métaphysique, pour conter les malheurs en amour de l’héritier ruiné d’une noble famille, il nous semble que ce devait être un peu beaucoup. Tandis que, dans l’adaptation, le récit, réduit aux bornes d’environ deux cents pages, — quoiqu’il y ait quelques mailles rompues du tissu de l’intrigue et quoique les événemens y aillent un peu à la débandade, — marche au moins d’une allure vive et d’un air de bonne humeur alerte. Nous n’en dirons pas tout à fait autant du Commandeur Mendoza, plus récemment traduit par M. Albert Savine. Si c’est fidèle, et nous n’avons aucune raison, d’en douter, c’est bien long, et ce n’est si long certainement que parce que c’est trop fidèle.

Ce qui n’empêche pas qu’après avoir loué de son infidélité même l’adaptateur des Illusions de don Faustino, nous allons louer maintenant le traducteur du Commandeur Mendoza de sa fidélité. On n’est pas, je pense, plus accommodant. C’est qu’il faut distinguer parmi les œuvres d’un écrivain, et surtout d’un poète ou d’un romancier, les œuvres qui sont vraiment significatives et celles qui ne le sont pas. Il y a des romans de facturé qui font très agréablement passer une heure ou deux, voisins d’une espèce de perfection commune et banale de leur genre, mais qui pourraient être au surplus signés de tout le monde. On les lit donc, on en conserve plus ou moins longtemps le souvenir, on finit toujours par les oublier. Manquer de défauts, c’est manquer d’originalité. Il y en a d’autres au contraire qui sont mal faits, si l’on veut, où l’on trouve, sans y chercher malice, à reprendre et blâmer autant ou plus qu’à louer, mais qui n’en sont pas moins marqués au signe de l’originalité personnelle et qui portent profondément empreinte la griffe de quelqu’un. Il serait facile ici, sous prétexte de donner des exemples, de saisir obliquement l’occasion de louer tel de nos romanciers français contemporains aux dépens de tel autre. Contentons-nous de notre auteur espagnol. Les Illusions de don Faustino sont un roman de la première espèce ; mais un roman de la seconde, c’est le Commandeur Mendoza. Poussons la déduction jusqu’au bout. S’il ne s’agit que de faire une lecture et de vous procurer une distraction sans fatigue, ne prenez pas le Commandeur Mendoza, lisez les Illusions de don Faustino. Vous y trouverez de la bonne humeur, — ce qui, par parenthèse, ne se rencontre plus que trop rarement dans le roman français, — un ou deux grains de satire, de très curieux détails de mœurs, de spirituelles esquisses de la vie de province en Espagne, deux ou trois études enfin de coquettes, un peu minces peut-être de psychologie, indiquées plutôt que creusées, mais intéressantes et surtout bien vivantes. D’ailleurs, le livre une fois fermé, vous ne serez pas autrement inquiet de savoir quel est l’homme qui se cache derrière l’auteur, et vous pourrez passer à une autre lecture. Mais, au contraire, si, comme j’ose