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étendre son exploitation que l’usure, et c’est au moyen de billets à longue échéance renouvelés à des prix exorbitans, avec des commissions exagérées, qu’il obtient l’argent mis en épargne par des voisins plus heureux ou plus avares. C’est seulement lorsque la propriété change de mains ou quand les familles se divisent qu’apparaît l’emprunt hypothécaire, mode de liquidation ruineux et en tout cas stérile quant à la mise en valeur de la terre et à l’accroissement de ses produits.

Sans doute la multiplicité des établissemens de crédit, l’expérience de plus en plus répandue des facilités que procure l’escompte, la valeur attachée dans les moindres localités aux titres mobiliers permettront au crédit personnel de s’affirmer, et il ne sera pas plus difficile aux agriculteurs français d’obtenir des avances gagées par leur solvabilité propre qu’aux ouvriers écossais de faire négocier leurs bons par les banques populaires d’Ecosse. Il y a bien des progrès à faire à cet égard, et nos grandes sociétés financières qui établissent dans nos départemens de si nombreuses succursales ne savent pas encore elles-mêmes jusqu’à quelles profondeurs peut pénétrer leur action : elles ignorent ce que l’épargne locale accumule dans les plus humbles centres de population, et ce que renferment les bas de laine cachés au fond des coures qui font l’admiration des amateurs de vieux meubles.

Jusqu’ici le billet du propriétaire voisin, souvent impayé à l’échéance et dont les intérêts sont si mal servis, a été dans nos villages l’unique mode de placement. Il n’est pas téméraire de penser que les obligations foncières y pénétreront de plus en plus avec toutes les autres valeurs mobilières, et le crédit de la propriété foncière y gagnera beaucoup. Pour activer la marche en avant, il serait urgent de rendre les formalités légales pour l’établissement, la mainlevée et la purge des hypothèques plus aisées et surtout d’amoindrir à la fois les frais de mutation de la propriété immobilière, et la charge de l’impôt foncier. Déjà, sous la monarchie constitutionnelle, ces questions étaient à l’ordre du jour : depuis près d’un demi-siècle, elles n’ont pas fait un pas vers la solution. Nulle réforme n’aurait cependant plus d’influence pour améliorer le sort des masses, mais, quoiqu’elle soit l’objet des préoccupations des esprits les plus sages dans tous les partis, — l’honorable président du sénat s’est publiquement prononcé à cet égard, — comme l’abaissement des droits de mutation et de l’impôt foncier ne figure pas au premier rang des revendications révolutionnaires, il est à craindre que bien du temps ne s’écoule encore avant que, devenue plus facilement transmissible, la propriété foncière se prête mieux aux transformations que nécessite sa situation présente, telles, par exemple,