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XII. — LE COMTE DE BISMARCK ET SES DÉTRACTEURS.

La situation commençait à se détendre ; le cabinet de Berlin, après trois semaines de mutisme, prêtait l’oreille aux suggestions de la diplomatie ; mais, fort de sa supériorité militaire, il se repliait en bon ordre, il discutait, débattait et marchandait avec humeur les concessions qu’on lui demandait. S’il ne repoussait plus l’idée de l’évacuation, il refusait à lord Stanley d’en faire la base des délibérations ; d’après lui, le retrait de la garnison ne devait être que la conséquence de l’entente des puissances.

La presse officieuse ne tenait aucun compte de l’évolution que le gouvernement opérait insensiblement. Elle affectait d’ignorer les pourparlers engagés et les concessions que déjà les puissances médiatrices avaient obtenues du cabinet de Berlin. Elle démontrait que la situation était plus grave qu’on ne le soupçonnait. La Gazette de l’Allemagne du Nord prétendait qu’il n’y avait pas lieu de négocier ni de s’arrêter à des propositions que la Prusse n’avait pas provoquées. Elle soutenait que, dans aucun cas, la Prusse ne rappellerait ses troupes ; elle croyait de son de voir de mettre le sentiment du public en garde contre les dépêches qui affirmaient qu’on était à la veille de s’entendre.

La Réforme prévoyait la guerre ; elle trouvait que le moyen le plus simple d’éteindre la soif inextinguible de conquêtes qui dévorait la France était de la réduire au rang d’une puissance inoffensive, en lui enlevant l’Alsace et la Lorraine et en s’annexant la Hollande. Quant à la Gazette de la Croix, l’organe du parti militaire, elle soulevait une question nouvelle, celle des arméniens. Elle affirmait que la France se préparait à la guerre offensive, qu’elle armait outre mesure, tandis que la Prusse ne remuait ni un homme ni un canon. Elle répétait ce qu’écrivait M. de Goltz, que l’affaire du Luxembourg n’était qu’un prétexte, que la France cherchait dans la guerre un dérivatif à ses difficultés intérieures et que, si la Prusse évacuait le Luxembourg, on lui demanderait Mayence.

La diplomatie accréditée à Berlin était déroutée ; elle connaissait la savante organisation de la presse prussienne. Elle savait combien elle était disciplinée, à quelles sources elle s’inspirait, elle ne comprenait plus rien à ce double langage, promettant la paix et soufflant la guerre. Elle interpellait le président du conseil. M. d’Oubril y mettait une ardeur particulière ; il tenait à regagner le temps perdu et à nous prouver combien la conversion tardive du prince Gortchakof était sincère. Il appelait l’attention du premier ministre sur le retentissement fâcheux que les violences de la presse prussienne avaient en Allemagne et en France, et il lui faisait remarquer