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projet. » Il est vrai que le gouvernement belge rêvait une donation à titre gratuit ; il lui répugnait de payer le grand-duché par une cession de territoire.

Un instant, on put réellement croire que la proposition autrichienne entrait dans les convenances de M. de Bismarck. M. de Metternich affirmait qu’il aurait dit à M. de Wimpfen « que l’idée était heureuse et qu’il en savait gré à M. de Beust[1]. » Mais le comte de Bernsdorf, qui à Londres jouait les Cassandre, donnait aussitôt un démenti à M. de Wimpfen. D’après lui, le propos prêté à son ministre n’était qu’une fable ; il affirmait, au contraire, que jamais la Prusse n’évacuerait le Luxembourg[2]. L’atmosphère de Berlin était décidément pernicieuse pour la diplomatie étrangère ; elle y perdait ses facultés les plus précieuses, l’ouïe et la mémoire.

M. de Moustier était énervé, épuisé par tant d’efforts stériles. S’arrêter à des propositions, les discuter et les accepter pour les voir échouer, telle était sa tâche. Il ne pouvait que se compromettre, à ces jeux fallacieux de la diplomatie. « Je redoute, télégraphiait-il au prince de La Tour d’Auvergne, à la date du 15 avril, que toutes ces propositions diverses qui se croisent n’amènent des complications. Aussi, en ce qui nous concerne, la question se résume-t-elle dans les termes suivans : « Le roi des Pays-Bas nous a fait une promesse de cession du Luxembourg. Nous ne pourrions y renoncer, dans l’intérêt de la paix de l’Europe, que si les puissances obtenaient de la Prusse l’évacuation de la forteresse. »

L’empereur, de son côté, faisait venir lord Cowley et le priait de réclamer, non plus les bons offices, mais la médiation de l’Angleterre. La France s’abritait de plus en plus derrière les puissances, elle les constituait arbitres de la paix et de la guerre.

M. de Moustier recommandait en même temps à M. Benedetti d’être plus circonspect que jamais et d’éviter toute démarche auprès de M. de Bismarck. « Nous devons, disait-il, garder une attitude expectante et aussi dilatoire que possible. Vous avez bien compris notre pensée, qui est de ne céder à aucune provocation, quelle qu’elle soit, et de rendre impossible au roi et au parti militaire qui le domine de trouver le prétexte de guerre qu’il semble vouloir chercher. »

La réserve de l’ambassadeur de France ne pouvait laisser M. de Bismarck insensible. Il s’en plaignait à M. de Goltz et disait qu’il voyait, dans cette attitude d’isolement à son égard, un caractère fâcheux de préméditation.

  1. Dépêche du comte de Wimpfen, 12 avril : « J’ai pu me convaincre que le comte de Bismarck y voyait un moyen de conciliation ; l’idée lui a paru heureuse, il nous en sait gré. »
  2. Dépêche du comte Apponyi : « D’après une dépêche que le comte de Bernsdorf a communiquée à lord Stanley » la Prusse refuse décidément d’évacuer le Luxembourg. »