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le difficile était de les faire accepter à la Prusse, toujours hargneuse et menaçante. M. de Beust avait la sienne ; elle consistait à rattacher le Luxembourg à la Belgique, qui, en échange de cet accroissement, cédait le duché de Bouillon, Philippeville et Marienbourg à la France. Toutes ces propositions étaient présentées successivement à tous les cabinets intéressés ; elles se croisaient, soulevaient des objections et amenaient en face d’un danger pressant des pertes de temps considérables. Le gouvernement impérial les avait toutes examinées et pesées ; l’idée de consulter les populations luxembourgeoises souriait à l’empereur, mais il reculait devant le démantèlement : il craignait un froissement considérable de l’opinion en France s’il acquérait le grand-duché ainsi décapité. La cession à la Hollande rendait la position du grand-duché précaire ; elle ne le garantissait que médiocrement contre les secrètes convoitises de la Prusse, et cependant c’était la combinaison qui, dans le conseil des ministres, avait soulevé le moins d’objections : elle avait l’avantage de respecter l’œuvre de Vauban.

M. de Moustier, personnellement, inclinait vers l’idée suggérée par M. de Beust : l’annexion du Luxembourg à la Belgique ; il croyait qu’on pourrait s’en faire un mérite aux yeux de l’Angleterre et en tirer des avantages, ne fût-ce qu’une union douanière. « Que la Belgique s’annexe le Luxembourg, me disait un diplomate étranger peu scrupuleux, et la France s’annexera le tout. » Mais, au fond, ces offres de remaniement de frontières répugnaient au gouvernement impérial ; le Luxembourg lui échappant, l’évacuation de la forteresse lui suffisait. « Je refuse, disait l’empereur au prince de Metternich, je ne veux pas qu’on dise que c’est l’esprit d’agrandissement qui m’inspire. » D’ailleurs le roi Léopold, qui a hérité de la sagesse de son père, ne se souciait pas d’un cadeau qu’il tenait pour dangereux. Il craignait que la France ne se souvînt un jour, lorsqu’elle serait en mesure de se souvenir, que la Belgique, dans une heure difficile, lui avait soufflé une province déjà acquise. Il se rappelait la fable de l’Huître et les Plaideurs, mais il en tirait une moralité bien différente de celle de La Fontaine. Peut-être aussi savait-il, — par sa diplomatie toujours des mieux renseignées, — que la proposition suggérée par le comte de Beust déplaisait à la cour de Prusse, bien qu’ostensiblement elle l’eût accueillie sans objections. Les mobiles sont souvent multiples et parfois contradictoires, rien n’est plus délicat que de les scruter et de les préciser. Le gouvernement belge ne paraissait pas aussi prévoyant que son roi, car le comte de Guitaut, notre ministre à Bruxelles, écrivait alors : « Il est certain que la réunion du Luxembourg à la Belgique comblerait les vœux de M. Rogier. Il voudrait rendre la France favorable à ce