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L’ambassadeur se refusait à le nommer, mais il parla du Luxembourg et de ses environs. « Ah ! si ce m’est que cela, interrompit avec candeur le ministre, que ne vous expliquez-vous ! Voyons, ajouta-t-il, dites-moi ce que vous désirez, je vous répondrai amicalement et, si je le puis, affirmativement ; sinon laissons tomber l’entretien. »

Le baron de Talleyrand laissa tomber l’entretien ; ce fut le ministre qui le reprit. Il révéla les passions qui couvaient au fond de son cœur. « Il y a des changemens en Europe, dit-il, que nous regarderions avec calme ; mais il en est que nous ne laisserions pas s’accomplir, celui de l’annexion à l’Autriche des provinces slaves de l’empire ottoman. Nous ne demandons rien pour nous, mais jamais nous n’accorderons rien à l’Autriche de ce côté. »

Le prince Gortchakof croyait du reste aussi peu que M. de Bismarck ; au relèvement de l’Autriche. Son ambassadeur à Vienne le mettait en joie ; il lui envoyait sur l’état des choses les plus sinistres appréciations. Aussi disait-il à qui voulait l’entendre « que la Turquie et l’Autriche étaient deux vieilles maisons accotées qui craquaient et ne se soutenaient que l’une par l’autre. »

En somme, la démarche de M. de Moustier n’avait rien produit. Le prince Gortchakof avait interverti les rôles ; de confesseurs il nous avait faits pénitens.

Do ut des, telle était la maxime du vice-chancelier, et ce qu’il désirait, la France ne pouvait pas le lui donner. Il entendait être relevé du traité de Paris, qu’il appelait sa tunique de Nessus. C’était son idée fixe, le terrain sur lequel déjà il s’était concerté avec la Prusse. M. de Bismarck connaissait sa corde sensible, il l’avait fait vibrer lorsqu’au sortir de Nikolsbourg, il envoyait le général de Manteuffel à Pétersbourg.

Tels étaient les rapports entre la France et la Russie au moment où surgissait au parlement du Nord la question du Luxembourg.

Le prince Gortchakof avait « flirté » avec le cabinet des Tuileries ; il s’était plu à reconnaître sa correction sympathique dans les affaires orientales ; il avait approuvé, dans un entretien récent avec M. de Talleyrand, « le langage encourageant » que M. de Budberg tenait à M. de Moustier. Nous étions mal engagés dans une aventure périlleuse ; l’occasion s’offrait à lui de se souvenir des efforts généreux de l’empereur Napoléon au congrès de Paris pour ménager l’amour-propre de la Russie et la relever de ses défaites. Il n’avait qu’un mot énergique à dire à Berlin, qu’à s’associer à l’Autriche et à l’Angleterre pour conjurer le danger dont nous étions menacés. Il ne répondit à nos sollicitations que par des fins de non-recevoir, ou l’ironie se mêlait au ressentiment. Il déplorait que la question du Luxembourg eût été soulevée, l’irritation de l’Allemagne lui faisait prévoir une explosion ; il se garderait bien de souffler le feu, mais