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tout rentrerait de plus en plus dans les théorèmes de la mécanique. Nous ne connaissons pas non plus aujourd’hui tous les mouvemens réels qui s’accomplissent dans le monde ; mais il est permis de croire que, dès à présent, nous possédons la loi de tous ces mouvemens et que tous relèvent de notre science mécanique. Il suffit donc aujourd’hui que l’expérience nous apprenne qu’en fait tels mouvemens ont eu lieu : la science peut aussitôt appliquer ses théorèmes à ces mouvemens avec plus au moins d’exactitude.

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que toutes les sciences, tendent à prendre la forme et à employer les méthodes des sciences rationnelles et constructives, qui sont les sciences de la nécessité. On reconnaît le degré de progrès qu’a fait une science au degré même de sa constitution mécanique et mathématique ; C’est ce que comprirent eux-mêmes les Descartes et les Leibniz, qui voyaient dans la vraie science une « mathématique universelle, » une « mécanique universelle ; » mais Leibniz se flattait vainement de retrouver la contingence et la finalité, sinon dans la science même, du moins dans ses principes et dans ses lois primordiales. A ce point de vue comme aux autres, les harmonies qui existent dans la nature ne sont que des harmonies mécaniques, non des œuvres d’esthétique ou de volonté intentionnelle comme celles d’un artiste humain, et le métaphysicien n’en peut rien conclure sans une pétition de principe sur les causes finales et la beauté éternelle. Le pressentiment de ces harmonies peut sans doute être utile au génie pour deviner la nature ; mais c’est parce que les harmonies et leur beauté, étant au fond de la logique, se ramènent à une combinaison de lois ou de causes ; on peut donc deviner la cause d’après les effets, et c’est une divination purement logique ou mathématique. Il ne faut pas confondre pour cela un simple résultat avec un but. Quand on parle des intentions de la nature, en métaphysique comme en physique, c’est toujours par pure métaphore, comme si on parlait du plan et des intentions esthétiques qui président à la formation d’un cristal, comme si on imaginait, selon le mot de Tyndall, des ouvriers invisibles occupés à le construire et pareils aux esclaves qui élevèrent les Pyramides.


III

M. Lachelier, poussant avec rigueur à l’extrême la doctrine de la finalité esthétique, a entrepris de la démontrer a priori et non plus a posteriori. Pour cela, il essaie de prouver que le principe des causes finales ou du beau est aussi nécessaire à la pensée que le principe des causes efficientes, qu’il est une forme essentielle de notre entendement sans laquelle il n’y a plus de raisonnement possible, ni