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des organismes par une simple évolution mécanique peuvent se réduire à quatre principales. En premier lieu, disent-ils, le caractère indéterminé du hasard, ce grand ouvrier de l’évolution et de la sélection naturelle, est incompatible avec la forme définie et le dessin déterminé des êtres. « Les figures de la nature, quelles qu’elles soient, dit M. Janet, ont des contours précis et distincts : le jeu des élémens peut-il avoir dessiné la figure humaine ? » M. Janet oublie que le hasard, entendu scientifiquement, loin d’être l’indétermination, est au contraire le déterminisme absolu, car il se ramène à la nécessité mécanique : rien au fond n’est indifférent ni fortuit, puisque tout est nécessaire. Les vagues que le « hasard » brise sur les rochers ne décrivent-elles pas des fusées dont « les contours sont précis et distincts ? » — Mais, dira-t-on, la complexité de la figure humaine est tout autre que celle des fusées de la mer. — Ceci nous amène à la seconde objection, qui consiste à dire que la complexité du dessin chez les êtres vivans est inconciliable avec la simplicité et la pauvreté des coups du hasard. C’est l’objection classique des lettres de l’alphabet qui, jetées sur le sol, ne sauraient composer l’Iliade et l’Odyssée. Ce vieux paralogisme consiste à supprimer les intermédiaires, à oublier que la nature agit par voie d’évolution et non par coups de dés. Le mécanisme de la nature a effectivement suffi pour produire l’Iliade, mais par l’intermédiaire des cerveaux humains, et ceux-ci par l’intermédiaire des animaux, des végétaux, des minéraux. De même pour la figure humaine, œuvre de l’évolution séculaire d’une série de sélections sans nombre qui ont assuré la survivance des formes les mieux adaptées au milieu. — Encore faut-il, dit M. Janet (et c’est sa troisième objection), que les organes utiles et capables de résistance préexistent : « La sélection n’a donc rien créé et ce n’est point elle qui est la cause véritable, car il fallait déjà que les organes existassent pour que la sélection les appropriât au milieu. » Ils existaient en effet, pourrait-on répondre, puisque ce sont les anciens organes qui reçoivent des appropriations nouvelles, les nageoires qui deviennent peu à peu pattes ou ailes, l’article antérieur du système articulé qui devient tête et organe directeur, etc. De plus, ces appropriations se font peu à peu et non du jour au lendemain, comme M. Janet semble le croire. L’argument que nous examinons consiste à supposer que tout sort tout d’un coup du néant ou du chaos complet, tandis qu’en réalité ce sont les formes déjà produites qui servent de matière aux formes nouvelles, et celles-ci à d’autres. Le dessin va se compliquant : les lois fondamentales sont les mêmes.

Enfin la quatrième objection, commune à M. Ravaisson et à M. Janet, c’est que « tout dessin suppose un dessinateur, que tout dessin est en même temps un dessein, disegno. » — Rien n’est plus