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pris Anglona, leur voisine, y mirent si bien le feu qu’il ne resta plus une seule maison debout, à l’exception de l’église. Aujourd’hui encore on dit que divers quartiers de Tarente ne peuvent pas se souffrir, et que les ouvriers de la rue centrale échangent volontiers des injures et des coups avec les pêcheurs de la strada Garibaldi, Mais les Grecs n’ont probablement rien à faire en ceci. Ce particularisme est un vieux défaut de l’Italie entière qui disparaît lentement depuis qu’elle ne forme plus qu’un royaume. On est plus tenté de retrouver quelque influence grecque dans ce goût que les gens de l’Italie méridionale ont toujours témoigné pour la philosophie. Cette contrée où fleurirent Pythagore et Archytas est la patrie de saint Thomas d’Aquin, de Giordano Bruno, de Campanella, de Vico. M. Taine, en 1864, fut frappé de voir le nombre des étudians qui se pressaient à une exposition de la Phénoménologie de Hegel, et avec quelle aisance ils paraissaient se jouer au milieu de ces abstractions obscures. « On peut se demander, ajoutait-il, si l’aliment qu’ils prennent est bien choisi et si des esprits nouveaux peuvent s’assimiler une pareille nourriture ; c’est de la viande mal cuite et lourde ; ils s’en repaissent avec un appétit de jeune homme, comme les scolastiques du XIIe siècle ont dévoré Aristote, malgré la disproportion, avec danger de mal digérer ou même d’étrangler. Un étranger fort instruit, qui vit ici depuis dix ans, me répond qu’ils comprennent naturellement les raisonnemens les plus difficiles et toutes les dissertations allemandes. » Il se pourrait bien aussi qu’il y eût quelque héritage du passé dans le caractère qu’a pris la dévotion chez les Italiens du Midi. Les Grecs de ces contrées étaient fort dévots et nous savons que les mystères avaient chez eux une grande importance, surtout ceux de Bacchus. Les gens d’aujourd’hui le sont bien plus encore et d’une façon qui nous paraît très singulière. Il faut lire la description que fait M. Lenormant des églises de Tarente et de Catanzaro. Il montre les murs des chapelles en renom tapissés d’ex-voto de cire qui représentent la partie du corps dont on a obtenu la guérison. « Passe encore lorsqu’il s’agit seulement de têtes, de bras, de jambes, ou même de rachis plus ou moins tordus, le tout de grandeur de nature ; cela n’est que bizarre. Mais que dire de ces exhibitions de poitrines de femmes avec les seins coloriés au naturel ? » Ce qu’on peut en dire, c’est que l’usage est fort ancien. On a trouvé, près d’un temple de Capoue, des dépôts où ces reproductions des divers membres du corps humain, toutes de grandeur naturelle, se comptaient par milliers. Si les ex-voto dont on couvre les murailles paraissent fort étranges, les statues qu’on place sur les autels sont encore plus extraordinaires. On voit là des images d’un réalisme incroyable, ornées de bijoux, affublées d’étoffes