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d’ordre et l’impulsion. Elles lisaient ses livres, copiaient ses modes, jouaient ses pièces sur leurs théâtres. Organisées de la même manière, animées du même esprit, elles se ressemblent toutes, et il n’en est presque aucune, dans leur longue durée, qui se soit fait une fortune à part et qui ait pris une physionomie particulière. Tout se confond et se perd dans l’unité du grand empire. Les colonies grecques ont un caractère bien différent. Sans doute elles n’oublient pas du premier coup leur origine ; la race et les habitudes se retrouvent dans leurs premières institutions. Suivant qu’elles sont ioniennes ou doriennes de naissance, elles se donnent d’abord une constitution aristocratique ou préfèrent la démocratie. Mais elles ne tardent pas à s’émanciper. Le rameau détaché devient arbre et porte ses fruits. Désormais elles existent par elles-mêmes et se développent en liberté ; chacune d’elles suit sa voie, chacune a son histoire. Elles donnent naissance à de grands écrivains, à de grands peintres ; elles possèdent des écoles de philosophie, un théâtre, une poésie, un art qui leur appartiennent ; race vraiment merveilleuse de souplesse et de fécondité, en qui la vie surabonde, qui se retrouve partout tout entière et peut se transplanter dans tous les pays sans perdre ses dons naturels.

Je ne veux pas refaire, après M. Lenormant, l’histoire des villes de la Grande-Grèce ; ceux qui veulent la connaître n’ont qu’à lire son livre ; il en a dit à peu près tout ce que nous pouvons en savoir. Cependant il y en a trois, dans le nombre, dont la destinée fut si brillante et qui ont tellement dépassé les autres qu’il est difficile de n’en pas dire un mot : c’est Tarente, Sybaris et Crotone.

Tarente, bâtie par les Doriens de Sparte au fond du golfe qui porte son nom, fut longtemps la plus importante des cités grecques de ce pays. Sa puissance lui vint de son heureuse situation, qui la rendait l’intermédiaire entre la Grèce et l’Italie, et de la sûreté de son port, qui attirait chez elle tous les vaisseaux qui naviguaient sur ses côtes. C’est ainsi qu’elle devint un des entrepôts du commerce de l’ancien monde. Mais elle supporta mal son bonheur. C’est, du reste, une remarque que nous aurons à faire au sujet de toutes les cités de la Grande-Grèce. Leur histoire est à peu près semblable et, après avoir grandi de même, elles ont fini de la même façon. Honnêtes tant qu’elles restent pauvres, actives, industrieuses lorsqu’elles ont leur fortune à faire, la richesse les a toutes gâtées. On s’aperçoit bien, au peu de résistance qu’elles opposent, que la race admirable dont elles sortent ne possède pas cette moralité solide qui maintient un peuple dans le devoir et lui fait vaincre la plus dangereuse de toutes les épreuves, celle de la prospérité. C’est, ainsi qu’avec la fortune la corruption s’est bientôt glissée dans les villes grecques et les a mises à la merci d’un maître ; mais elle semble