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Samnites, et derrière eux. les Romains, qui n’eurent pas beaucoup de peine à devenir leurs maîtres. En attendant, les peuples qui s’étaient soumis à eux, probablement sans combat, furent associés à leur prospérité ; le commerce répandit l’aisance dans tout le pays ; jamais les champs n’y furent mieux cultivés, la richesse plus générale, la population plus nombreuse. On nous dit que Sybaris parvint à réunir des armées de trois cent mille combattans, et Crotone, sa rivale, ne devait guère avoir moins de soldats, puisqu’elle finit par être victorieuse.

Les Grecs ne se contentèrent pas de soumettre le pays, ils parvinrent à l’assainir : c’est leur plus belle victoire. Ils n’avaient pas eu grand’ peine à vaincre les hommes, il leur fut sans doute plus difficile de combattre la nature et de la dompter. M. Lenormant fait remarquer que, dans les légendes qu’on racontait au sujet de la fondation des villes grecques en Italie, il est souvent question d’un démon ou d’un monstre qui dévore les habitans, qui exige d’eux un tribut de victimes humaines jusqu’au jour où quelque héros en triomphe et le tue. Ce démon, c’est la malaria qui décima ceux qui, les premiers, s’établirent sur ce sol empesté et essayèrent de le défricher. Ils finirent pourtant par être victorieux, à force de peine, en desséchant les marais, en donnant aux eaux un meilleur régime. Mais le monstre n’était pas mort. Lorsqu’au commencement du moyen âge, le malheur des temps fit négliger les anciens travaux, il reprit possession de son domaine et, depuis ce temps, il y règne en maître. Si l’on veut que ce pays reprenne son ancienne prospérité, il faut recommencer la lutte contre le fléau des anciens âges et le poursuivre sans repos. Dans ces beaux et terribles climats, la nature ne cède à l’homme qu’à la condition qu’il ne se fatigue jamais de la combattre. C’est sans doute ce que voulait exprimer Virgile quand il comparait le travail du laboureur à celui d’un marinier qui remonte avec sa barque un courant rapide. Il faut qu’il rame toujours ; pour peu qu’il s’arrête, le fleuve l’emporte et il perd en un moment tout le fruit de sa peine passée.

Au milieu de cette population vaincue, sur ce sol assaini et devenu fertile sans danger, les Grecs élevèrent de grandes cités dont les historiens antiques nous parlent avec la plus vive admiration. Rome aussi a couvert le monde de ses colonies ; c’était sa politique d’envoyer ses citoyens pauvres fonder partout des villes qui sont devenues souvent fort importantes. Les colonies romaines ont parfaitement accompli l’œuvre à laquelle on les destinait : elles ont assuré la tranquillité de l’univers et civilisé les nations barbares. C’est un grand service rendu à l’humanité ; mais il faut aussi remarquer qu’elles n’ont jamais été que d’assez pâles reflets de la métropole. Elles vivaient de sa vie, les yeux toujours sur elle, attendant le mot