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plus de vivacité encore, et au lieu de les prévenir par une décision hardie, il se flatta de les désarmer en usant de patience et en payant tout le monde de bonnes paroles. A l’ambassadeur de Marie-Thérèse, le prince Lichtenstein, qui arrivait tout éperdu pour l’interroger, il répondit que le roi de France était décidé à tenir ses engagemens et que c’était lui faire injure que d’en douter. Mais il ajouta que l’avènement d’une femme et d’un souverain autrichien non revêtu de la dignité impériale étant un fait qui n’avait pas eu lieu depuis des siècles, on ne savait trop quel protocole devait être employé pour lui répondre et qu’on allait faire des recherches pour résoudre cette question d’étiquette. Le lendemain, quand le ministre de Bavière apporta sa protestation, il lui fit dire sous main que, si la pragmatique engageait bien la France, en ce qui touchait les propres de la succession de Charles VI, elle n’avait pu rien stipuler à l’égard de la couronne impériale, et que l’électeur restait libre d’y aspirer, comme le roi de seconder sa prétention. Il ajouta même, plus bas encore, que toutes les garanties du monde ne pouvaient rien contre les droits des tiers, qu’il en avait souvent prévenu Charles VI, et que, si l’électeur pouvait établir les siens par des titres irrécusables, on verrait ce qu’il y aurait à faire. Puis, ayant ainsi, sinon contenté, au moins endormi toutes les réclamations, il se reposa à son tour, mit en Parme et regarda venir les événemens.

Je ne sais pourquoi on appelle cette manière de faire, gagner du temps ; le plus habituellement, c’est en perdre. En tous cas, si la politique expectante peut convenir à quatre-vingt-dix ans, à vingt-huit il est plus rare qu’on s’en accommode. Il n’y eut donc pas lieu d’être surpris si on apprit bientôt qu’à Berlin on était loin d’imiter cette attitude prudemment équivoque, mais qu’au contraire, tout y respirait une activité guerrière dont les effets furent bientôt visibles, bien que le but en restât mystérieux. « Le roi, écrivait Valori, dès le 1er novembre, travaille avec MM. de Podewils et Schverin huit à dix heures par jour ; ils dînent ensemble, et personne ne les voit. » Ce travail incessant et solitaire se prolongea pendant une partie du mois, et la conséquence fut un ordre de mobilisation envoyé à tous les corps de troupes, une instruction donnée à tous les officiers de tenir prêts leurs équipages de campagne, et enfin l’établissement de parcs d’artillerie et de dépôts de munitions dans les principales villes frontières. L’organisation de l’armée sur le pied de guerre fut confiée, avec une certaine solennité, au prince d’Anhalt-Dessau, qui était reconnu comme le meilleur des généraux prussiens, mais qui, la veille encore, était en disgrâce et n’était pas sorti de sa retraite depuis le nouveau règne.

On juge de l’impression produite par des mesures qui ne