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hommes avancés, trop avancé pour les hommes modérés, j’ai succombé conséquent à moi-même et comme entraîné sous le poids de ma propre logique. J’ai rêvé la république de Lamartine ; je la sens en moi, je ne la vois nulle part. L’avenir dira qui s’est trompé. Battu du scrutin, je n’en garde pas moins un vrai dévoûment pour mon pays, une sincère reconnaissance pour le Loiret. Je puis tomber souvent, je ne veux démériter jamais. » La déception pour Louis fut pénible, car il avait eu des motifs sérieux de croire qu’il serait envoyé au corps législatif. D’autres déceptions furent plus amères que la sienne et lui permirent de montrer sa grandeur d’âme. — Lamartine non plus n’avait pas été élu député. Lamartine qui, après l’aventure de février, aurait pu prendre la France qui se donnait à lui, s’il l’avait comprise, et si, au lieu d’être un poète, il n’avait été qu’un homme d’état, Lamartine, que dix départemens[1] avaient choisi pour représentant l’année précédente, Lamartine auquel Paris avait donné 259,800 voix, ne trouva pas, en 1849, un collège électoral sur lequel il pût compter. Partout où il se présenta, il échoua. Si, malgré ce déni de justice et cette ingratitude, il fit partie de l’assemblée législative, c’est à Louis de Cormenin qu’il le doit. Le lendemain du jour où Louis avait écrit la lettre que j’ai citée, un des élus du Loiret, M. Roger, mourut subitement. Le siège vacant revenait en quelque sorte de droit à Louis de Cormenin, qui, à peu de chose près, avait touché l’élection. Cette fois, toutes les chances sont en sa faveur, et il est presque certain de réussir. Que va-t-il faire ? Il écrit au directeur du Journal du Loiret : « 22 mai 1849. Mon cher ami, j’apprends à l’instant que M. Roger vient de succomber, frappé par le choléra. Je pense que c’est le devoir de tout candidat de faire la place libre à M. de Lamartine, qu’un ostracisme brutal a rejeté même dans son département. Le génie est au-dessus des partis. Prendre M. de Lamartine ce serait grandir le département du Loiret, et j’ose espérer, mon cher rédacteur, que vous joindrez votre voix à la mienne pour le ramener à la législature. Le nommer, c’est consacrer et honorer le suffrage universel. » L’appel de Louis de Cormenin fut entendu, les électeurs du Loiret réparèrent l’injustice de la France, et grâce à eux Lamartine ne fut pas exclu de l’assemblée des représentans du peuple ; mais celui qui s’était sacrifié pour lui perdait une occasion qu’il ne retrouva plus d’entrer dans une carrière où le poussaient toutes ses aptitudes. Il put regretter de ne pas appartenir aux assemblées législatives de son pays, mais il ne regretta jamais de s’être effacé devant Lamartine.

Peu de temps après la réunion de la législative, qui tint sa

  1. Seine, Côte-d’Or, Bouches-du-Rhône, Saône-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Dordogne, Finistère, Gironde, Nord, Seine-Inférieure.