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son aïeule, fille de Ferdinand Ier, nièce de Charles-Quint. Or, du moment qu’une protestation se produisait pour une raison bonne ou mauvaise, il fallait s’attendre que d’autres en trouveraient une d’égale valeur pour en faire autant. On allait donc voir arriver d’abord l’électeur de Saxe, roi de Pologne au nom de sa femme, nièce de Charles VI et la plus âgée des archiduchesses vivantes ; puis le roi d’Espagne et le duc de Savoie, héritiers l’un et l’autre par les femmes de Philippe II, qui représentait la branche aînée de la maison d’Autriche. Bien que chacun de ces plaideurs couronnés pût prétendre à la totalité de la succession litigieuse, un intérêt commun pouvait les conduire à s’accommoder entre eux pour la partager. C’était donc la coalition aujourd’hui et demain le démembrement. Pour faire face à cette menaçante perspective, de quelles forces disposait Marie-Thérèse ? D’un trésor absolument vide et d’une armée si bien dissoute qu’en certains endroits les compagnies de cavaliers ne comptaient que deux ou trois hommes, n’ayant d’ailleurs pour commandans que des généraux dont les uns étaient en disgrâce et les autres en prison pour avoir mal défendu l’honneur du drapeau. Quel encouragement pour toutes les ambitions en campagne que de n’avoir à courir sus qu’à une femme seule, sans soldats et sans argent !

Et cependant ces menaces du dehors et ce dénûment intérieur n’étaient rien auprès d’incertitudes plus graves encore et plus alarmantes. Un nuage plus obscur planait sur deux points de l’horizon, Versailles et Berlin. C’était de ces deux centres d’action, d’importance d’ailleurs si inégale, que pouvait en effet venir également, soit le salut, soit la ruine. Ni la France ni la Prusse n’avaient, à la vérité, un intérêt direct dans la succession de Charles VI : mais l’une et l’autre pouvaient jeter dans la balance un poids décisif. En Allemagne, rien de sérieux ne pouvait être tenté sans la petite, mais bonne armée de la Prusse. En Europe, aucune coalition redoutable ne pouvait être organisée si la France ne se mettait de la partie. Qu’allait donc faire la Prusse et son jeune roi ? qu’allait faire la France et son vieux ministre ?

Si les paroles avaient pour les rois la même valeur que pour les simples mortels, et si la foi des traités engageait la bonne foi des gouvernemens, aucun doute, même le plus léger, n’aurait pu s’élever sur les intentions de la France. Le roi de France, en effet, à la suite de la guerre heureuse de 1735, avait donné non-seulement son consentement, mais sa garantie expresse à la pragmatique dans des termes tels qu’on semblait avoir pris à tâche d’épuiser tous les modes d’engagement que le vocabulaire diplomatique pouvait fournir et y aller au-devant de toutes les éventualités que l’imagination pouvait prévoir. Après avoir rapporté textuellement les dispositions