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égoïste de la fortune, usés par une longue pratique de l’intrigue des cours, et prêts à tourner avec la fortune. Ni chez un diplomate corrompu comme Zinzendorf, ni chez un scribe émérite comme Bartenstein, apprécié seulement par ses roueries de procureur, on n’aurait trouvé le moindre vestige d’un sentiment chevaleresque, et plus d’un, en entrant dans la salle du conseil, dut songer à se ménager une porte de sortie.

La princesse pourtant, par un mélange de grâce et d’autorité, sut d’abord les dominer, puis les séduire, enfin même les échauffer. Les ordres qu’elle leur donna, les résolutions qu’elle fit prendre pour la reconnaissance de son pouvoir, furent exécutés dès le jour même avec une activité qu’on n’avait pas connue de longue date dans la vieille machine impériale, et qui semblait en faire crier les ressorts rouilles. L’ardeur de la reine était contagieuse et se communiquait à tous. Ni elle ni le grand-duc ne se donnaient un instant de repos ; ils ne semblaient prendre ni sommeil ni nourriture, inséparables d’ailleurs l’un de l’autre dans l’accomplissement de leur tâche commune : car c’était là le seul point sur lequel elle ne voulût écouter aucun conseil. Accessible à tout le monde et prêtant l’oreille à tous les avis, il n’y avait qu’un sujet sur lequel elle se montrait intraitable : c’était sa résolution de tout partager, droit, devoirs et dignités avec son époux. Elle ne souffrait ni qu’on parût s’écarter de lui, ni qu’on voulût le tenir à l’écart. Nulle part, surtout en public, elle ne se montrait sans lui. « Les ministres, dit le marquis de Mirepoix, ont fait les plus fortes représentations à la reine sur la résolution où elle est de faire manger le grand-duc avec elle en public ; mais elle leur a fermé la bouche en disant qu’elle le veut absolument. »

Au surplus, à force de travailler avec son mari et de le faire agir et parler, elle semblait lui communiquer quelque chose de sa bonne grâce. On remarqua bientôt qu’il n’avait jamais été si aimable que depuis sa récente grandeur. On sait avec quelle rapidité tourne l’humeur populaire. En peu de jours, ce fut la mode de porter aux nues le couple royal, et la reconnaissance du nouveau règne fut proclamée partout avec enthousiasme. Nulle réclamation même ne s’éleva lorsque, peu de jours après, la nouvelle reine associa son époux au gouvernement par un acte solennel, en l’élevant à la dignité de corégent, qui ne dut lui conférer cependant ni aucun droit personnel ni surtout aucun titre à sa succession.

Mais ce changement dans le sentiment public n’empêcha point l’électeur de Bavière de rédiger sur-le-champ, contre l’intronisation de la princesse, une protestation en règle que son ministre eut ordre de remettre, avant de quitter Vienne, entre les mains de tous les ambassadeurs. Il n’appuyait pas cette protestation sur les droits de son épouse auxquels il avait expressément renoncé, mais sur ceux de