Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des faits récens dont notre génération est encore si profondément émue, qui m’a suggéré la pensée du travail qu’on va lire. Les derniers événemens ont jeté en quelque sorte en arrière une sombre lumière sur toutes les relations antérieures de l’Autriche, de la France et de la Prusse. J’ai supposé que plus d’un lecteur français en serait frappé comme moi et qu’un résumé succinct des informations nouvelles sorties des chancelleries de Vienne et de Saint-Pétersbourg serait de nature à l’intéresser ; à plus forte raison, si j’essayais de compléter et de contrôler ces documens de source étrangère par d’autres tirés de nos propres archives ; c’est ce que je me suis proposé de faire. Entre l’Autriche et la Prusse s’accusant ou se confessant tout haut, mais divisées souvent dans le récit ou l’appréciation des mêmes incidens, il m’a semblé curieux de faire intervenir, pour les départager ou les mettre d’accord, un tiers interlocuteur, la France, représentée par ses agens politiques ou militaires dont les divers ministères m’ont permis de consulter les rapports. Cette étude comparée m’a paru pouvoir être utilisée à l’occasion pour l’intelligence de plus d’un événement contemporain. Mais même en laissant de côté (comme un narrateur sincère doit toujours faire) les retours trop intéressés sur nous-mêmes et les applications forcées au temps présent, — et en nous plaçant à un point de vue purement historique, — la situation des agens français pendant cette époque critique du XVIIIe siècle rend leur témoignage particulièrement digne de foi et d’attention. Remarquez que je dis les agens et non les historiens français. Ceux-ci, au contraire, n’ont fait que répéter avec une servilité un peu niaise tous les thèmes dictés par Frédéric, et il n’y a pas plus de profit que d’instruction à attendre d’eux. Mais le gouvernement de Louis XV ayant été tour à tour l’allié et l’ennemi soit de la Prusse, soit de l’Autriche, et ayant porté dans chacune de ses amitiés successives beaucoup d’indécision, de réserve et de méfiance, ses représentans, ministres ou ambassadeurs, ont été en mesure de tout connaître et libres de tout apprécier, hommes et choses, sans trop de passion ni de préjugés. Ils usent habituellement de ce droit avec cette franchise d’allure, cette justesse et cette vivacité de ton qui étaient propres à la conversation de la bonne compagnie dans l’ancien régime. Quand leurs dépêches n’ajouteraient rien à la connaissance des événemens, elles seraient encore souvent une piquante lecture. Cela seul suffira, j’espère, pour qu’on ne me reproche pas les extraits qu’à l’occasion j’en pourrai faire : je compenserai d’ailleurs ce que ces développemens pourraient avoir de trop long en abrégeant l’histoire générale que tout le monde connaît, qu’on peut lire partout, et à laquelle je n’emprunterai que ce qui est rigoureusement nécessaire pour suivre l’enchaînement des faits.