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avait quatre-vingt-trois ans lorsqu’il gagna la bataille de Novare.

Je ne vis que rarement le général Pélissier pendant mon séjour à Oran, car je m’éloignais volontiers de la ville. La grande plaine de la M’léta qui s’étend entre le marais de la Macta et le lac Salé m’attirait. Le chamœrops humilis, ce palmier nain qui tracé comme un fraisier, le lentisque, l’arbousier couvraient le sol où s’agitaient au vent quelques touffes d’alfas ; çà et là, un dattier laissait retomber ses feuilles rongées par les sauterelles ; des compagnies de perdreaux rouges s’envolaient au bruit de mon cheval ; de maigres moutons noirs cherchaient pâture dans la lande, et le lac Salé reluisait au loin comme un miroir d’acier. J’avais des amis dans la plaine, parmi les tribus des Smélas et des Douars. J’allais dormir sous la tente au milieu des hommes, séparé des femmes par un rideau qu’elles soulevaient afin d’apercevoir le Roumi. On avait essayé de fixer au sol, sur un emplacement déterminé, ces deux tribus, qui nous sont fidèles depuis la conquête, et on leur avait bâti des villages. Peine perdue ; ces nomades vivaient sous la tente en poil de chameau ; leurs maisons nouvelles et bien construites servaient d’étables pour le bétail, de greniers pour les céréales, mais nul n’y habitait, nul n’y couchait. Aujourd’hui, ces villages que j’ai vus solides et tout neufs, doivent être tombés en ruines, car l’incurie arabe n’aura jamais pansé les blessures que le temps leur a faites. Je sortis de la province d’Oran et j’entrai au Maroc : laid pays, lourde race, sans élégance, sans grandeur et sans goût. Des peintres, curieux de couleur et de contrastes, en ont reproduit quelques aspects et croient y avoir trouvé l’Orient ; singulier Orient, que les véritables Orientaux appellent mogreb : le couchant.

J’allais au hasard des routes ouvertes devant moi, sans but défini, n’apprenant pas grand’chose, me mêlant aux cavaliers douars pour assister à une chasse au lion où l’on ne fît pas « buisson creux, » regardant, à l’heure de la fête des moissons, ces luttes étranges où, deux hommes, excités par les cris des spectateurs et les ronflemens du darabbuck, cherchent à se donner des coups de talon dans la nuque, forçant à cheval les perdreaux rouges et les couvrant d’un burnous lancé comme un épervier, perdant mon temps en flâneries fécondes et retournant à la vie nomade. Mes amis les Arabes me volèrent des foulards, de la poudre, des paquets de tabac, mais leur kouskoussou ne m’en parut pas moins bon, je n’en dormis pas moins en toute sécurité auprès d’eux, et je n’en faisais pas moins des vers, que j’envoyais à Flaubert. Il les communiquait à Bouilhet, qui m’en expédiait d’autres, meilleurs que les miens :

Lorsque tu sortiras des ondes libyennes,
Le front tout jaune encor des baisers du soleil