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confrérie des Snussis, lui escroqua un jour plusieurs centaines de thalers et qu’après lui en avoir restitué une partie, ce roi des drôles, en se retirant, lui fit l’affront de lui envoyer à travers les airs sa bénédiction. De toutes les couleuvres qu’il a dû avaler dans son héroïque odyssée, c’est la seule qu’il n’ait pu digérer ; elle lui pèse encore sur le cœur, et il est certain que se laisser bénir par son voleur, en se donnant l’air de sentir tout le prix de cette cérémonie, est une des épreuves les plus cruelles où la patience d’un homme puisse être mise. Auprès de cette disgrâce, qu’est-ce que le simoun et la soif ? Et pourtant M. Rohlfs, son livre en fait foi, a rencontré dans plus d’une oasis des figures d’Arabes honnêtes, loyaux, charitables et presque désintéressés. Mais il a peine à leur faire grâce. On n’est pas toujours maître de son humeur, et nous aurions tort de lui en vouloir. Si nous avions eu, nous aussi, le chagrin d’être bénis un jour par le saint escroc Sidi-Agil, peut-être serions-nous aussi injustes que lui.

« Ces Arabes qui ne travaillent pas et qui s’engraissent des sueurs d’autrui, nous dit-il, sont les éternels parasites du monde et de l’histoire… Nous devons reconnaître sans envie, ajoute-t-il, que les Français, qui dans ces derniers temps ont rendu de si grands services à la civilisation sur le pourtour de la Méditerranée, ont bien mérité de tout le genre humain par la conquête de l’Algérie. Mais pourquoi n’ont-ils pas fait un pas de plus et repoussé dans le désert ces intrus asiatiques, ces brigands sémites qui en venaient et qui sont dignes d’y retourner ? Une expérience de cinquante années ne suffit-elle pas pour démontrer qu’il est impossible de civiliser une race qui ne veut pas être civilisée ? » L’exhortation que M. Rohlfs nous adresse sera goûtée de plus d’un colon algérien ; mais nous doutons que le gouvernement français la prenne au sérieux et qu’il se décide à exterminer les Arabes ; les violences, les moyens brutaux ne sont que des expédiens et un aveu d’impuissance. Sans contredit, M. Rohlfs n’a pas tort de soutenir que les Arabes sont une race difficilement gouvernable ; c’est une raison de plus pour les gouverner avec beaucoup de sagesse et de prévoyance, en comptant pour les réduire sur l’action lente du temps et des mesures opportunes. C’est aussi une raison de ne pas accroître indéfiniment le nombre de nos sujets africains. Où irions-nous si nous écoutions les conseils des annexionnistes à outrance, de ceux qui aiment à faire grand ? Les seuls agrandissemens que nous devions désirer sont ceux que commande notre sûreté, car en Algérie notre politique doit être jusqu’à nouvel ordre strictement et énergiquement défensive. Nulle part la vanité des conquêtes ne serait plus périlleuse que sur le sol africain.

Il faut accorder à M. Rohlfs que la religion des Arabes est un aussi, grand obstacle à leurs progrès dans la civilisation que leur