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qu’elle accuse souvent des incompatibilités de couleurs, mais cela tient uniquement à ce que les étoiles sont choisies au gaz et combinées pour l’éclairage au gaz ; ce ne sera qu’une habitude à changer.

On adresse à l’éclairage électrique le reproche plus grave encore d’altérer la rétine et les humeurs de l’œil et de conduire rapidement à une cécité inévitable. L’usage a fait justice de ces craintes exagérées. Introduite depuis plusieurs années dans des ateliers, dans des magasins, employée dans la plupart des laboratoires, multipliée hors de toute nécessité à l’exposition, l’électricité n’a donné lieu à aucune plainte et n’a pas produit un seul accident. On pouvait le prévoir en se rappelant que, malgré tout son éclat, elle reste encore singulièrement inférieure au soleil. Mais il ne faut pas la regarder directement ; dans ce cas seulement, elle peut devenir dangereuse et elle partage cet inconvénient avec toutes les autres lumières, même les bougies et les lampes. Un grand industriel me racontait qu’ayant introduit des régulateurs électriques dans un atelier occupé par un grand nombre de femmes, elles se plaignirent tout d’abord unanimement parce que, ne pouvant s’empêcher de les regarder, elles en subissaient l’influence exagérée. Au bout de quinze jours, la curiosité étant satisfaite et l’habitude prise, les plaintes cessèrent tt les avantages d’un éclairage plus riche commençaient à se faire sentir, lorsqu’on se décida à revenir à l’ancien éclairage au gaz. Cette fois, les ouvrières redemandèrent l’électricité avec l’unanimité qu’elles avaient mise à la critiquer.

L’ancien éclairage de l’escalier de l’Opéra comprend environ six cent trente becs de gaz disséminés du haut en bas, les uns dans des candélabres à feu nu, les autres dans des globes dépolis. C’est une très grande somme de lumière et cependant elle semble disparaître et s’effacer devant l’incomparable puissance de l’éclairage électrique. Cela n’a rien qui doive nous étonner. Chaque lampe électrique en effet vaut à elle seule, au bas mot, cent becs de gaz, d’où il suit que trente-huit lampes ont développé dans la salle une lumière égale à celle de trois mille huit cents becs, par conséquent six fois plus grande que l’ancienne. Ainsi le gaz n’intervient que pour un sixième dans l’illumination totale, il n’est pas étonnant qu’il y paraisse si pâle.

Il n’y est pas seulement pâle, il y est terne et d’une couleur jaune tellement prononcée qu’on n’en peut croire ses yeux et qu’on hésite à le reconnaître : le contraste produit toujours ces effets. Tout ce qui est supérieur efface ou enlaidit ce qu’on avait d’abord admiré. En toute chose, c’est la comparaison qui classe. Les bougies ont pâli devant le gaz ; à son tour le gaz cède à la lumière électrique : c’est la loi du progrès.