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choses, la plus grande liberté d’esprit. A l’entendre causer avec Philelphe, à le voir s’extasier devant les fresques de la chapelle Sixtine, on ne se douterait pas que l’on a devant soi le fondateur de la dynastie des della Rovere, Sixte le Terrible. Il ne se passait guère de semaine, nous dit un de ses contemporains, sans qu’il allât visiter, porté dans une litière suspendue entre deux chevaux, les églises qui lui devaient leur restauration, Sainte-Marie du Peuple, Sainte-Marie de la Paix, ou les rues et les places nouvelles. A Ostie et à Porto, pendant une de ses excursions, il se délecte à la vue des ruines antiques et écoute avec intérêt les discussions archéologiques auxquelles elles donnent lieu dans son entourage. Un peu plus d’amour pour la nature, et l’on croirait voir revivre Pie II, qui a dépeint avec tant de charme les paysages des environs de Rome. Lorsque, une trentaine d’années plus tard, Jules II, dans les intervalles de ses emportemens, visitait Michel-Ange dans la Sixtine et que le vieillard devant lequel tremblait l’Europe gravissait tout essoufflé les échafaudages qui cachaient les peintures du plafond, il ne faisait peut-être que se souvenir de l’exemple de son oncle. Est-ce à dire que Sixte ait eu des vues originales sur la mission de la science et de l’art, qu’il ait élaboré à son usage une esthétique nettement définie ? Le théologien qui avait écrit le traité de Sanguine Christi était-il capable de distinguer entre la philosophie de Platon et celle d’Aristote, entre le style de Cicéron et celui de Quintilien ? Savait-il seulement apprécier les différences qui séparaient l’art antique de l’art du moyen âge, l’école florentine de l’école ombrienne ? Je vais plus loin ; savait-il se rendre compte de la valeur relative d’un Ghirlandajo, le créateur des admirables fresques de Santa-Maria-Novella, et d’un Cosimo Roselli, l’auteur de tant de compositions insipides ? Questions indiscrètes, inquiétantes, auxquelles nous allons essayer de répondre.


II

Au milieu des graves préoccupations qui absorbèrent Sixte au sortir du conclave, une de ses premières pensées fut pour les lettres. Il avait été élu le 9 août 1471 ; dès le 17 décembre suivant, nous le voyons occupé de la reconstruction de la Bibliothèque Vaticane. Il est juste que nous tenions compte d’une préférence si nettement accusée et que nous examinions d’abord son attitude vis-à-vis du monde des savans.

A l’époque de la renaissance, Rome offrait aux représentans de la science des ressources bien autrement considérables qu’on ne