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figure, et leurs aventures deviennent d’une insignifiance presque choquante à côté des graves intérêts d’état. A ceux qui sont préoccupés de l’influence des jésuites et des conséquences des conflits religieux, il n’importe guère que Mlle Dœrchen de Borsdorf, fiancée du ministre protestant, offre à ce dernier un cœur brodé de vergissmeinnicht, rempli de lavande pour parfumer ses vêtemens, et se rappeler ainsi à son souvenir, toutes les fois qu’il change de linge. Le roman finit par un imbroglio, où l’esprit un peu forcé ne supplée pas à la gaité absente ; le meilleur éloge qu’on en puisse faire est de le comparer au dénoûment d’un vaudeville de Scribe.


III

L’entreprise gigantesque et laborieuse de M. Freytag touche à sa fin. Il nous a conduits à travers les périodes plus ou moins obscures et enchevêtrées, où s’est préparé et lentement élaboré le sentiment national des Allemands. Avec le royaume de Prusse et l’armée prussienne au XVIIIe’ siècle, s’est formé le centre d’attraction autour duquel se grouperont de plus en plus étroitement les forces de l’Allemagne. Par son esprit militaire et le succès de ses armes, la Prusse est ainsi d’avance désignée pour le commandement. Mais après la mort de Frédéric II, l’armée semble avoir perdu l’esprit qui l’animait ; elle tombe dans la routine, l’automatisme, le chauvinisme et la vantardise ; son prestige est détruit à Iéna, et il nous reste à voir comment, après la ruine apparente de l’œuvre du grand Frédéric et la défaite du militarisme en 1806, l’Allemagne dut son relèvement à l’enthousiasme de tout un peuple uni pour la première fois contre l’étranger.

C’est dans le petit miroir d’un tableau de genre que M. Freytag, fidèle à sa méthode, s’efforce de reproduire en raccourci l’image de ces temps troublés ; nous ne voyons en scène aucun grand personnage, ni roi, ni généraux, ni empereur : Napoléon ne fait que traverser en chaise de poste la petite ville, qui sert de titre à ce dernier roman. Les grands orages déchaînés au loin vont pourtant troubler le calme profond de ce coin perdu de la Silésie. M. Freytag imagine quelles devaient être alors les émotions naïves des paysans, bourgeois, employés, artisans, de ceux, en un mot, que l’histoire ignore, les déterminations que leur suggérait le cours des tragiques événemens dont ils recevaient le lointain écho, et l’enthousiasme qui les enflamma, quand sonna enfin l’heure de la revanche, et qu’il s’agit d’arracher à l’ennemi les provinces occupées, de venger l’honneur national.

Un Kœnig, petit-fils d’Auguste Kœnig, tué en 1745, à la bataille de Kesseldorf, va nous initier aux impressions des Allemands