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passé, car cet usurpateur est un Hohenzollern, dont l’héritage passera bientôt à ses cousins de Brandebourg ; ceux-ci transforment le bonnet ducal de Prusse en couronne royale et y joindront la couronne impériale[1]. » Les lignes de M. Lavisse que nous venons de citer donnent le sens clair et la portée des événemens historiques auxquels M. Freytag fait allusion à la fin de son récit. — Le précédent roman se terminait vers 1230, au commencement de la conquête de la Prusse sur les païens indigènes, entreprise par les chevaliers de l’ordre teutonique : celui-ci s’achève en 1525, lors de la décadence de l’ordre, au moment de la sécularisation et de l’érection en duché protestant de cette même Prusse jadis vouée à la Vierge. L’auteur résume l’inspiration de ce livre dans une prophétie qu’il prête à Luther, promettant un glorieux avenir à l’Allemagne protestante et menaçant la Pologne de ruine si elle reste catholique.

Tout le volume est animé de la plus vive antipathie contre les Slaves, l’ennemi héréditaire du Nord ; né en Silésie, sur la marge des pays polonais, M. Freytag a conçu un violent mépris pour cette nation. Déjà, dans le premier et le plus célèbre de ses romans, Doit et Avoir, il opposait la culture allemande à la barbarie slave, il mettait en relief les incapacités politiques et économiques des Polonais, comparées à la supériorité universelle des Allemands. Le partage de la Pologne n’est donc qu’une conséquence de cette loi de nature qui soumet les races secondaires à la domination des races plus intelligentes et plus fortes. Ici la force, c’est le droit.

Le roman suivant, intitulé les Frères Kœnig, est composé de deux récits, dont le premier nous transporte des bords de la Vistule sur les bords du Rhin, un siècle plus tard. Il commence à la fin de la guerre de trente ans, en 1647, une année avant la conclusion du traité de Westphalie. Cette fois, Allemands et Français sont aux prises. L’Allemagne n’est qu’un champ de ruines, où errent à l’aventure des régimens débandés. Ils ne savent quel maître suivre. Quelques chefs tiennent pour la France, mais le soldat est Allemand de cœur et ne veut plus servir sous Turenne et les officiers français (Descartes, par exemple), fats prétentieux, avec des gestes de singes, faux, vantards et orgueilleux, qui ne comprennent pas la langue et affectent de mépriser les mœurs du pays. C’est ainsi que certains Allemands aiment à se représenter les Français, croyant sans doute s’enrichir de toutes les qualités qu’ils nous refusent. Cependant un immense besoin de paix se manifeste partout, et il n’est pas jusqu’au reître harassé qui ne songe à déposer sa longue rapière et qui ne rêve la vie civile. La fureur des haines

  1. Ernest Lavisse, Récits de l’histoire de Prusse, Revue du 15 mars 1879.