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polonaise et flotter sur la citadelle le drapeau de l’ordre teutonique. Il est en relations secrètes avec Albert de Brandebourg, pour lequel il amasse de l’or dans ses coffres.

George Kœnig ignore la politique et les menées de son père : il a d’ailleurs un autre martel en tête, car il est amoureux de la fille de Fabricius, son maître de latin ; les regards de cette jolie personne le touchent plus que les succès de l’ordre teutonique. Il lui donne des sérénades, il la régale de bière, de jambon et de massepain, chante avec elle des lieder dans la forêt ; bref, il cherche à prévenir ses moindres désirs, jusqu’à faire venir à grands frais de Dantzig un petit chien d’appartement, qui est l’occasion de quelques scènes assez fades. Le génie comique n’est pas celui de l’Allemagne, comme on peut s’en convaincre par le théâtre, d’où la comédie est absente. Quand M. Freytag veut dérider ses lecteurs, il a certaines petites inventions naïves un peu monotones et dont la plus piquante consiste à présenter ses personnages sous un costume grotesque ; c’est ainsi qu’il montrera une femme en colère poursuivant son mari dans le plus simple des appareils de nuit ; ailleurs, ce sera un officier surpris au saut du lit, qui tire l’épée et se veut battre en cet équipage. Il ne se peut rien imaginer de plus froid.

Revenons au jeune Kœnig. Une occasion se présente bientôt de donner à la belle Anna (ainsi se nommait la fille de Fabricius) un témoignage d’amour plus sérieux qu’un petit chien de Dantzig. La réforme fait à Thorn de rapides progrès. L’insolence des moines, leur débauche, leur hypocrisie, leur cupidité révoltent le sens honnête et droit de la population allemande. Quand les évêques, convoqués par le roi Sigismond, viennent dans la ville, ils amènent avec eux leurs sérails de « femmes peintes, » au grand scandale des bourgeois qui les hébergent. Ce mécontentement s’exprime par une opposition théologique. Les écrits d’Érasme et de Luther commencent à se répandre : l’échoppe du libraire Hannus est de plus en plus fréquentée ; aussi les moines le considèrent d’un mauvais œil. « Tout ce qui s’imprime est sottise, » s’écrie le père Gregorius. Les boutiquiers sur le pas de leurs portes discutent la Bible et les prophètes. Un frère prêcheur vient-il à passer, on rit, on le montre au doigt, on hausse les épaules. Notre connaissance, le professeur de latin Fabricius, se signale par son ardeur contre les congrégations et raisonne sur la théologie en langue vulgaire ; sa fille Anna adopte avec enthousiasme les idées nouvelles. Bientôt les hostilités s’enveniment entre catholiques et réformateurs ; la rivalité des races prend la couleur religieuse, et un beau jour le libraire Hannus, principal agent de propagande, est pillé par le parti polonais. Le clergé organise un grand auto-da-fé de tous les livres