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est portée à son comble dans le judaïsme et l’islamisme. Elles condamnent la ronde bosse et se renferment dans une imagerie hiératique d’où l’art sérieux aura beaucoup de peine à sortir.

On ne voit pas que, dans la vie privée, les chrétiens se fissent scrupule de se servir des produits de l’industrie ordinaire qui ne portaient aucune représentation choquante pour eux. Bientôt, cependant, il y eut des fabricans chrétiens, qui, même sur les objets usuels, remplacèrent les anciens ornemens par des images appropriées au goût de la secte (bon pasteur, colombe, poisson, navire, lyre, ancre). Une orfèvrerie, une verrerie sacrée se formèrent, en particulier, pour les besoins de la cène. Les lampes ordinaires portaient presque toutes des emblèmes païens : il y eut bientôt dans le commerce des lampes au type du bon pasteur, qui probablement sortaient des mêmes officines que les lampes au type de Bacchus ou de Sérapis. Les sarcophages sculptés, représentant des scènes sacrées, apparaissent vers la fin du IIIe siècle. Comme les peintures chrétiennes, ils ne s’écartent guère, sauf pour le sujet, des habitudes de l’art païen du même temps.


III

Les mœurs des chrétiens étaient la meilleure prédication du christianisme. Un mot les résumait : la piété. C’était la vie de bonnes petites gens, sans préjugés mondains, mais d’une parfaite honnêteté. L’attente messianique s’affaiblissant tous les jours, on passait de la morale un peu tendue qui convenait à un état de crise à la morale stable d’un monde assis. Le mariage revêtait un haut caractère religieux. On n’eut pas besoin d’abolir la polygamie : les mœurs juives, sinon la loi juive, l’avaient à peu près supprimée en fait. Le harem ne fut, à vrai dire, chez les anciens juifs, qu’un abus exceptionnel, un privilège de la royauté. Les prophètes s’y montrèrent toujours hostiles ; les pratiques de Salomon et de ses imitateurs furent un objet de blâme et de scandale. Dans les premiers siècles de notre ère, les cas de polygamie devaient être très rares chez les Juifs ; ni les chrétiens ni les païens ne leur en font le reproche. Par la double influence du mariage romain et du mariage juif, naquit ainsi cette haute idée de la famille qui est encore de nos jours la base de la civilisation européenne, si bien qu’elle est devenue comme une partie essentielle du droit naturel. Il faut reconnaître cependant que, sur ce point, l’influence romaine a été supérieure à l’influence juive, puisque c’est seulement par l’influence des codes modernes, tirés du droit romain, que la polygamie a disparu chez les juifs.