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considérait comme des héritages de Jésus. L’huile sainte en était l’instrument. Les païens étaient fréquemment guéris par l’huile des chrétiens. Quant à l’art de chasser les démons, tout le monde reconnaissait que les exorcistes chrétiens avaient une grande supériorité ; de toutes parts, on leur amenait des possédés pour qu’ils les délivrassent, absolument comme la chose a lieu encore aujourd’hui en Orient. Il arrivait même que des gens qui n’étaient pas chrétiens exorcisaient par le nom de Jésus. Quelques chrétiens s’en indignaient ; mais la plupart s’en réjouissaient, voyant là un hommage à la vérité. On ne s’arrêtait pas en si beau chemin. Comme les faux dieux n’étaient que des démons, le pouvoir de chasser les démons impliquait le pouvoir de démasquer les faux dieux. L’exorciste encourait ainsi l’accusation de magie, qui rejaillissait sur l’église tout entière.

L’orthodoxie vit le danger de ces dons spirituels, restes d’une puissante ébullition primitive, que l’église devait discipliner, sous peine de n’être pas. Les docteurs et les évêques sensés y étaient opposés ; car ces merveilles, qui ravissaient l’absurde Tertullien et auxquelles saint Cyprien attache encore tant d’importance, donnaient lieu à de mauvais bruits, et il s’y mêlait des bizarreries individuelles dont l’orthodoxie se défiait. Loin de les encourager, l’église frappa les charismes de suspicion, et, au IIIe siècle, sans disparaître, ils devinrent de plus en plus rares. Ce ne furent plus que des faveurs exceptionnelles, dont les présomptueux seuls se crurent honorés. L’extase fut condamnée. L’évêque devient dépositaire des charismes, ou plutôt aux charismes succède le sacrement, lequel est administré par le clergé, tandis que le charisme est une chose individuelle, une affaire entre l’homme et Dieu. Les synodes héritèrent de la révélation permanente. Les premiers synodes furent tenus en Asie-Mineure contre les prophètes phrygiens ; transporté à l’église, le principe de l’inspiration par l’esprit devenait un principe d’ordre et d’autorité.

Le clergé était déjà un corps bien distinct du peuple. Une grande église complète, à côté de l’évêque et des anciens, avait un certain nombre de diacres et d’aides-diacres attachés à l’évêque et exécuteurs de ses ordres. Elle possédait, en outre, une série de petits fonctionnaires, anagnostes ou lecteurs, exorcistes, portiers, psaltes ou chantres, acolytes, qui servaient au ministère de l’autel, remplissaient les coupes d’eau et de vin, portaient l’eucharistie aux malades. Les pauvres et les veuves nourris par l’église et qui y demeuraient plus ou moins étaient considérés comme gens d’église et inscrits sur ses matricules (matricularii). Ils remplissaient les plus bas offices, comme de balayer, plus tard de sonner les cloches,