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Russie, qui paraît être pour le moment celle de la neutralité, prendrait son véritable caractère si la guerre venait à éclater. S’appuyant sur la Roumanie, entièrement sous sa dépendance, par l’influence qu’y exerce la cour de Prusse, la Russie tiendrait l’Autriche en échec et marcherait résolument vers le but traditionnel de ses ambitions.

« Il est d’autres impressions que M. de Rothschild a rapportées de son séjour à Berlin ; elles cadrent malheureusement avec les appréciations que je n’ai cessé d’émettre. D’après lui, l’armée prussienne n’aurait jamais été dans un état plus admirable, animée d’un sentiment plus vif de sa force et de son invincibilité. Son armement et son approvisionnement seraient au grand complet. Les coffres-forts de l’état regorgeraient d’argent ; on aurait des fusils, des canons, des chevaux à revendre, selon l’expression du général de Roon, c’est-à-dire de quoi en fournir à tout le midi de l’Allemagne.

« On dit à Berlin que nous manquerons d’hommes, exercés bien entendu, que tous nos préparatifs se ressentiront de la hâte avec laquelle ils auront été exécutés. On ne douterait pas de l’assistance la plus patriotique de l’Allemagne et l’on serait certain, tout en reconnaissant les grandes qualités qui distinguent notre armée, son élasticité et son intelligence, que le succès infaillible serait du côté de la Prusse. Votre excellence reconnaîtra toute la gravité de ces confidences. Je les lui transmets sans retard, car elles viennent d’un homme intelligent qui sait en général voir les choses sous leur véritable jour ; avec la perspicacité qui a toujours caractérisé sa famille. J’ai eu soin d’ailleurs, dès le début de cette lettre, de ne pas vous cacher que j’avais retrouvé M. de Rothschild, qui a le culte des têtes couronnées, sous le charme des attentions dont il a été l’objet à la cour de Prusse. »

Tout en Allemagne, vers le milieu d’avril, sentait la poudre. Les officiers, si circonspects d’habitude, ne cachaient plus que leurs régimens étaient kriegsbereit (prêts à marcher) et qu’ils n’attendaient plus qu’un signal pour s’ébranler. On disait que les portes de Rastadt allaient s’ouvrir à une division prussienne, que la garnison de Mayence, déjà forte de vingt mille hommes, serait doublée, que toutes les places, le long du Rhin, étaient approvisionnées et munitionnées, que les chemins de fer étaient requis pour le transport des troupes, que les généraux commandans avaient reçu leurs dernières instructions sous pli cacheté. On annonçait aussi que des plénipotentiaires militaires allaient partir pour le Midi et sommeraient les gouvernemens de procéder sans plus de retard à l’exécution des traités d’alliance. On parlait enfin de l’arrivée du général de Moltke à Mayence et de celle du prince royal à Darmstadt. Les journaux inspirés donnaient à ces rumeurs de véhémens commentaires ; il