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étaient alternativement pacifiques ou belliqueuses. Il comptait avec les généraux et le parlement, mais il comptait aussi avec l’Europe. Il n’avait pas de parti-pris ; il réfléchissait sur son échiquier, il méditait toutes les combinaisons, attendant le jeu de son adversaire pour faire avancer ou reculer ses pions. Sa responsabilité, sa gloire, étaient engagées. Il n’entendait pas les compromettre témérairement. Son audace était prudente. Il tâtait avant tout le pouls de l’Allemagne, et s’assurait si sa presse, qu’il avait déchaînée contre la France, accélérait ses pulsations patriotiques. Il se demandait si les cours méridionales répondraient à son appel, et si, en cas de revers, elles ne lui feraient pas défection. Elles manifestaient des hésitations, elles exprimaient des craintes, elles invoquaient leur désorganisation militaire[1], l’opposition des chambres, elles soulevaient le casus belli prévu par les traités d’alliance, elles craignaient d’être exposées aux premiers coups et réclamaient des garanties. Elles élevaient aussi des doutes sur la neutralité de l’Autriche, elles appréhendaient bien à tort les démonstrations militaires de l’Italie du côté des Alpes. Les journaux prussiens n’en disaient pas moins que tout le monde ferait son devoir ; ils ne doutaient pas de l’assistance résolue de l’Allemagne entière. C’était leur métier d’insulter la France et d’exalter les vertus germaniques. M. de Bismarck savait à quoi s’en tenir ; sa police le renseignait sur les dispositions des populations annexées ; elles lui étaient foncièrement hostiles. Il lui revenait que déjà s’organisait une légion hanovrienne et qu’autour de son drapeau viendraient se grouper tous les violentés d’Allemagne[2]. Le sentiment de l’Europe lui était contraire, l’opinion publique de tous les pays, protestait contre les exigences de sa politique. Les perplexités étaient permises. L’imprévu, qui joue un si grand rôle dans les événemens, pouvait renverser les calculs les mieux faits. Mais la situation se transformait du tout au tout si l’empereur, dont les susceptibilités

  1. Lettre de M. Benedetti, 16 avril. — « M. de Montgelas aurait reçu l’ordre de ne pas laisser ignorer au président du conseil que la Bavière ne saurait dans un court délai se mettre en mesure de prêter à la Prusse un concours armé. Il a fait remarquer que l’organisation militaire des états du midi n’était pas encore définitivement arrêtée et que les mesures qu’elle comporte mettraient à la charge des populations des dépenses nouvelles, qu’elles ne sont pas en état de supporter après les sacrifices que leur a imposés la dernière guerre et les contributions stipulées par les traités de paix. »
  2. Un envoyé du roi George, le comte Meding, était venu à Paris porteur d’une protestation contre la Prusse, revêtue de milliers de signatures, recueillies non-seulement en Hanovre, mais dans tous les états annexés. Il désirait la remettre à l’empereur et sollicitait le concours du gouvernement français pour l’organisation d’une légion militaire. M. de Moustier refusa de se prêter aux vœux du roi George. Il ne voulait à aucun prix fournir un prétexte à la Prusse. Il n’entendait retourner les naines particularistes de l’Allemagne contre elle que le jour où toutes les chances de la paix seraient irrévocablement perdues.