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la paix diplomatique et la paix civile, la paix des intérêts et la paix des consciences, — de proposer des lois équitables, des réformes mûrement méditées, de faire de la république le régime de tout le monde, ce serait certes la politique la mieux inspirée ; ce serait le meilleur moyen de servir la république, de lui donner la vraie stabilité qui n’exclut aucun progrès sérieux, de faire à son profit ce gouvernement dont on parle sans cesse et dont on comprend parfois si peu les conditions. Ce n’est point à dire que l’œuvre soit facile pour un homme qui n’a point eu encore l’occasion de s’essayer dans des circonstances régulières, qui à des dons évidens joint une dangereuse exubérance, et qui a peut-être autant à oublier qu’à apprendre ; elle est du moins faite pour tenter une ambition généreuse et elle trouverait bientôt de nombreux, d’efficaces appuis, elle s’imposerait parce qu’elle répondrait aux plus secrets instincts, aux besoins les plus pressans du pays. Si M. Gambetta entre aux affaires avec l’intention de se « laisser pousser, » comme disait M. Jules Ferry, de gouverner avec des idées et des passions de parti, en se faisant précéder de toute sorte de points d’interrogation sur la revision constitutionnelle, sur la réforme ou la désorganisation de la magistrature, sur l’asservissement des croyances, sur la réduction du service militaire, ce n’est plus un homme d’état, c’est le tribun continuant, au pouvoir comme hors du pouvoir, son rôle d’agitation. Ce n’est pas un changement de politique, c’est tout au plus l’ancien ministère remanié avec de nouveaux noms et d’inévitables aggravations. C’est le même air joué d’une plus grosse voix, et comme conséquence, c’est l’ère des conflits intérieurs perpétuée en France.

Voilà la vérité, voilà l’alternative qui se dessine. A l’heure qu’il est, d’ailleurs, toutes ces questions qui s’agitent depuis quelques jours au sujet de la reconstitution d’un gouvernement sont bien près d’être résolues ou du moins se hâtent vers le dénoûment, puisque M. Gambetta vient d’être appelé à l’Elysée. Ce qui sortira de ces conférences, on ne peut le savoir encore. Rien de décisif ne sera fait sans doute avant la réunion des chambres ; tout va se préparer, Ce qu’il y a de clair et de net, c’est le choix devant lequel M. Gambetta ne peut plus reculer ; il s’agit pour lui de devenir un serviteur prévoyant et utile de la France ou de n’être qu’urj agitateur vulgaire, plus habile à disputer ou à dominer le pouvoir qu’à l’exercer et destiné à se perdre dans quelque aventure, en perdant peut-être bien autre chose que lui-même.

Ch. de Mazade.