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vie. Le malade, immobilisé, ressemble exactement aux mannequins dont se servent les peintres. Les articulations ont perdu en partie leur élasticité; lorsqu’on cherche à les fléchir, elles opposent une molle résistance, les membres gardent indéfiniment, — indéfiniment n’est pas trop dire, — la posture qu’on leur a donnée. Décrire toutes les attitudes possibles de ces façons de tableaux vivans serait enfantin et inutile. Debout, le malade reste en parfait équilibre si on a eu soin de lui assurer une base de sustentation; couché, il se prête aux positions les plus étranges. Il est toujours surprenant de voir un homme étranger à ce qui se passe en lui et autour de lui, ramené pour ainsi dire à l’état d’une masse plastique qu’on modèle à son gré, le sujet n’étant ni résistant ni docile, mais simplement passif. La contraction musculaire ou la tension des muscles, phénomène réputé actif par excellence, se maintient, chose bizarre, juste au même degré, tout le temps que dure ce mode de catalepsie. Le muscle a exagéré sa tonicité et perdu ce qu’on a appelé ingénieusement le sens de son activité.

Lorsqu’un modèle vivant de sculpteur ou de peintre a été astreint pendant un certain temps à une pose même peu tourmentée, la fatigue s’accumule peu à peu, affectant d’abord les membres dont la posture exigeait le plus grand effort de tension et finissant par gagner ceux qui n’étaient obligés qu’à une immobilité passive. Le cataleptique hypnotisé ignore la fatigue ; vous êtes maître d’étendre son bras dans une position qui provoque à l’état normal le maximum de lassitude, d’attacher un poids à la main suspendue et déviée par la contorsion la plus bizarre : ni un frémissement, ni un indice quelconque ne trahit une sensation. L’homme est de fer ou de bois. Et cela peut durer pendant des heures sans interruption d’une seconde.

Cette sorte de catalepsie est l’attribut exclusif des hypnotisés; on la trouve survenant en apparence spontanément chez des individus atteints d’affections nerveuses ou cérébrales, mais cette spontanéité illusoire tient à un défaut d’observation. Parmi les cérébraux, quelques-uns, sans entrer dans le détail des événemens pathologiques auxquels ils sont soumis, vivent dans un état permanent de subhypnotisme : éveillés, ils le sont à demi ; endormis, ils le sont à l’excès. Un incident quelconque, le fait de l’occlusion, même volontaire, des yeux suffit pour les hypnotiser; leur intelligence engourdie s’absorbe volontiers dans une idée unique et indifférente ; ils réunissent donc la somme des conditions exigées pour que Les phénomènes de l’hypnotisation apparaissent. Efforcez-vous de les tenir en éveil, et il ne surviendra pas de catalepsie. Une autre donnée curieuse, c’est que jamais le sommeil naturel, dans quelque condition de fatigue qu’il se produise, ne s’accompagne d’un état cataleptique, même indécis.