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Elle lui donna sa joue à baiser, suivant la mode française. Remontant à cheval, don Juan se plaça à la portière et l’escorta jusqu’à Namur. Dans le luxe qu’il déploya pour la recevoir, dans les fêtes qu’il lui donna, la galanterie ne fut pour rien. Le politique l’emporta sur l’amoureux. Cette magnifique réception ne lui servit qu’à se ménager les moyens de surprendre la citadelle de Namur ; sa belle visiteuse partie, il s’en empara.

La traversée des Flandres n’avait été pour Marguerite qu’une longue suite de fêtes ; son retour fut presque une fuite. Il lui fallut passer à travers les troupes de don Juan et les huguenots en armes, qui se défiaient de ses intrigues. Elle ne regagna qu’à grand’peine La Fère, où elle avait prié le duc d’Anjou de la rejoindre. Le duc se rendit à son appel. Là il trouva le comte de Lalain et M. d’Inchy, venus pour l’y rencontrer, et il arrêta les premiers articles de son traité avec les états-généraux. Ce court séjour à La Fère fut comme une halte dans sa vie agitée. Fêté, cajolé par sa gracieuse sœur, que les contemporains lui reprochent d’avoir trop aimée, il ne pouvait s’empêcher de dire : « O ma reine, qu’il fait bon près de vous ! Cette compagnie, c’est un paradis, et celle d’où je suis parti, un enfer rempli de toutes sortes de furies et de tourmens. » Ce n’était que trop vrai ; à peine rentré à la cour, il se vit en butte à de nouvelles avanies. Enhardis par l’impunité, les mignons ne le saluaient plus et l’accablaient de leurs railleries. Sa position n’était plus tenable. Une belle nuit, à l’aide d’une échelle de corde, il s’échappa par la fenêtre de la chambre de Marguerite. Bussy, qui attendait à l’abbaye de Sainte-Geneviève, avait fait pratiquer dans la muraille de l’enceinte de Paris un trou par lequel sortit le duc. Il trouva des chevaux prêts et se réfugia à Angers. Bien lui en prit, car, si l’on en croit le Vénitien Jean Michiel, il aurait été sans aucun doute arrêté et condamné à une prison perpétuelle.

Une fois en liberté, le duc alla de ville en ville recruter des partisans pour sa prochaine expédition dans les Flandres. Les événemens semblaient conspirer pour lui : Mathias, le futur empereur qui, échappé de Vienne et le gagnant de vitesse, avait été proclamé à Bruxelles gouverneur-général des Flandres insurgées contre l’Espagne, venait d’essuyer à Gembloux (17 janvier) la plus sanglante des défaites. Don Juan, à la tête des vieilles bandes espagnoles, revenues à son appel, avait balayé l’armée des états. Le duc d’Anjou était donc imploré comme un libérateur. Son entrée dans les Flandres pouvant devenir l’occasion d’une guerre avec l’Espagne. Catherine en eut peur, et pour le détourner de ce projet, elle vint lui offrir la fille du duc de Mantoue ou bien Catherine de Navarre. Rien ne put arrêter le duc ; partant presque seul de Verneuil et franchissant