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chef, c’était sans aucun doute le duc d’Alençon. Guitry, chargé de forcer les portes du château de Saint-Germain et d’enlever le duc d’Alençon et Henri de Navarre, ayant, par trop de précipitation, devancé l’heure fixée pour agir, La Môle perdit la tête et avoua tout à Marguerite de Valois. Avertie par sa fille, Catherine partit dans la nuit pour Paris, emmenant dans son propre coche Henri de Navarre et son fils d’Alençon. Charles IX la suivit en litière, entouré des suisses en ordre de bataille, comme à la retraite de Meaux. Il alla loger à l’hôtel du comte de Retz, dans le faubourg Saint-Honoré. Guitry, auprès duquel il avait envoyé M. de Torcy, ayant promis de licencier sa troupe, un semblant d’amnistie fut accordé ; mais « le temps, dit Marguerite de Valois, ne fit qu’augmenter les aigreurs. » Le 10 avril, Charles IX alla s’enfermer à Vincennes avec les suisses et sa garde. Traité en prisonnier, ayant toujours devant les yeux le triste sort de don Carlos et s’en croyant menacé, le duc d’Alençon ne pensa plus qu’à s’enfuir. Le 18 avril, jour désigné, des chevaux l’attendaient sur la route ; mais Catherine veillait, et cette fois ne garda plus aucun ménagement. La Môle et Coconas furent livrés à la justice. La torture n’arracha aucun aveu à La Môle ; présenté au feu, les pieds broyés dans des brodequins de fer, il ne cessa de répéter qu’il n’avait pas conspiré, n’ayant voulu que favoriser l’évasion de son maître.

En apprenant l’arrestation de La Môle, Elisabeth fut prise d’un sentiment de pitié ; elle ordonna à son ambassadeur, le docteur Dâle, d’intercéder pour lui. La veille de l’exécution, Dâle vint trouver Catherine, qui fut inflexible : à toutes ses supplications elle opposa que la reine Elisabeth n’avait épargné ni Norfolk ni ses propres parens, et qu’elle agirait de même. Le 30 avril, La Môle et Coconas étaient décapités. Le lendemain, Charles IX fit venir à Vincennes le docteur Dâle. Le matin, il s’était fait tirer du sang et se sentait mieux ; il parla au docteur du mariage de son frère. Les troubles présens rendaient une entrevue impossible, mais pour la favoriser il se promettait d’aller en Picardie dès qu’ils seraient apaisés. En attendant, le duc d’Alençon était étroitement gardé. Elisabeth, s’en alarmant, fit partir en toute hâte Leighlon. L’état de Charles IX s’était encore aggravé ; Leighton, reçu par lui seulement le 15 mai, ne put obtenir qu’une réponse évasive. Catherine, qu’il vit, lui dit sèchement, au sortir de son audience, que le duc n’était pas plus gardé que le roi, qu’il pouvait aller où bon lui semblait. Elle ajouta ironiquement que l’extrême sollicitude témoignée par la reine Elisabeth en faveur de son fils était un excellent présage pour le projet de mariage. »

La maladie de Charles IX marchait rapidement. Dans la nuit du 22 au 23 mai, de grands vomissemens de sang l’affaiblirent encore.