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jeune qu’elle n’était, et que, de son côté, le duc, grâce à sa forte constitution, gagnant aussi neuf ans, ils se trouvaient ainsi tous deux du même âge, à vingt-sept ans. » Elle accepta le compliment de bonne grâce. Le jour même, elle retourna au château de Kenilworth, emmenant avec elle nos deux envoyés. Le lendemain 18, il y eut un grand dîner. Elisabeth en prit occasion pour s’expliquer plus franchement. Walsingham avait mal interprété et mal rendu sa pensée ; elle n’avait jamais dit que son mariage avec le duc fût impossible, elle n’avait fait allusion qu’à de certaines difficultés. Le 20, elle passa une partie de la journée avec La Môle et La Mothe, les admit dans ses appartemens privés et joua devant eux de l’épinette, faveur exceptionnelle ; puis, venant aux affaires sérieuses, elle leur déclara en présence de ses conseillers qu’elle était décidée à se marier, mais qu’elle désirait voir le duc. Elle prononça ces mots d’une voix si douce, si sympathique, qu’on l’interpréta dans le sens le plus favorable. La Môle et La Mothe en profitèrent pour lui demander que la question de l’entrevue fut laissée à l’appréciation de Catherine, mais que préalablement les articles arrêtés pour le mariage du duc d’Anjou fussent maintenus. Le lendemain, Elisabeth leur remit une lettre en réponse à celle de Catherine, et adressa quelques mots très flatteurs à La Môle. De leur côté, séduites par les cajoleries de La Môle, les dames d’honneur lui répétaient chaque jour : « Que monseigneur le duc vienne ! » Cecil écrivait à Walsingham : « Sa Majesté me paraît moins éloignée du mariage que je ne le pensois. » Smith, plus explicite encore, écrivait à Walsingham : « L’amant fera bien peu s’il ne se donne pas la peine de voir une fois l’objet de ses amours ; il y a vingt moyens pour venir ici et faire plus en une heure qu’on ne sauroit faire en deux ans. Les femmes veulent paroître être forcées, même à ce qu’elles désirent. »

Tout semblait marcher à un dénoûment prochain, lorsque tout à coup, dans un ciel en apparence sans nuages, éclata de l’autre côté de la Manche ce terrible coup de tonnerre qui depuis trois cents ans retentit encore dans notre histoire, la Saint-Barthélemy. Un courrier venu de France débarqua à la Rye ; des pêcheurs portèrent ses dépêches à la reine ; des protestans échappés de Dieppe avaient déjà apporté la fatale nouvelle. La Mothe-Fénelon, par une première lettre datée du 25 août, apprit que Coligny avait été tué à la suite d’une lutte entre les deux maisons de Guise et de Châtillon. Le lendemain, il reçut une seconde lettre, l’invitant à ne pas parler de la première ; une troisième vint lui annoncer l’envoi d’un mémoire justificatif. Le 3 septembre seulement, il demanda audience. Elisabeth était alors à Woodstock. Après trois jours d’attente, elle l’y reçut, entourée de toute sa cour. À l’entrée de notre ambassadeur, il se fit un profond