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Enfin la loi morale elle-même est encore au fond un acte de foi. Car que suppose-t-elle? C’est qu’il y a entre les choses un ordre de dignité et de perfection qui n’est pas l’ordre de la quantité, que l’esprit, l’âme, est d’un ordre supérieur aux choses sensibles. Or cet ordre, il faut déjà y être pour en comprendre la dignité ; et pour comprendre la vérité morale, il faut être déjà une créature morale, ce qui n’a pas lieu sans la volonté. La vérité morale se distingue de toutes les autres eu ce qu’elle est une vérité pratique. Il faut y croire avant de la voir : c’est un acte de foi.

C’est ainsi que, pour ces quatre vérités fondamentales, la foi vient compléter l’œuvre de la raison. Il y a donc une certitude d’un ordre particulier qui a son fondement dans l’âme, dans le cœur, dans la volonté. C’est la certitude morale.

Dans tous les exemples précédens, il nous semble que l’auteur confond deux choses bien distinctes : d’une part, les apparences sensibles, qui paraissent déposer contre les vérités intellectuelles et qui les rendent suspectes à des esprits peu exercés, et, de l’autre, les obscurités proprement dites, ou difficultés qui viennent de ce que les vérités dont il s’agit ne sont pas suffisamment démontrées. Il y a là une équivoque qui obscurcit tout. Qu’il faille mépriser les apparences sensibles, quand il s’agit de choses intellectuelles, cela est certain; mais c’est affaire de raison, non de foi. De telles apparences, il s’en rencontre dans toutes les sciences. Quoi de plus prodigieux pour l’esprit que cette doctrine que la lumière est un mouvement, que la terre tourne sur elle-même, qu’il y a des antipodes, que le soleil a disparu sous l’horizon, quand nous le voyons encore au-dessus? Quoi de plus mystérieux que la communication du mouvement en mécanique? Quoi de plus invraisemblable que ce qu’on appelle quantités négatives, imaginaires, irrationnelles, etc. ? Voilà mille cas où, dans les sciences proprement dites, la vérité vient se heurter à des apparences, à des révoltes du sens ou du sens commun. La science ne nous dit pas qu’il faille mépriser ces apparences : nullement; elle les explique par la raison seule, ou, quand elle ne les explique pas, elle les laisse subsister en qualité de problèmes, et elle n’affirme jamais que dans la mesure de ce qui est démontré. De même, si en métaphysique il y a des apparences semblables, c’est aussi. à la raison à en démontrer la vanité. C’est à elle à prouver, avec Descartes, que tout ce qui est sensible suppose quelque chose qui n’est pas sensible, une vérité d’ordre intellectuel, à savoir : je pense. Tout ne se ramène donc pas aux sens. Toute la discussion des idées innées est affaire de raison, non de foi. C’est la pensée qui se prouve elle-même en analysant et en décomposant les données sensibles.