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de Dieu, de la vie future ne sont pas seulement des croyances ; ce sont des « vérités. » À ce titre, elles s’imposent comme toutes les vérités. Mais, comme vérités, elles sont froides, inactives, et même, l’auteur le reconnaît, obscures et voilées. C’est la volonté qui doit intervenir et s’ajouter à l’intelligence pour la compléter. C’est là ce que l’auteur appelle « la foi morale » qui apporte à l’esprit une certitude d’un autre ordre que celle de l’intelligence, mais égale. C’est ce supplément apporté par la volonté et le cœur à l’intelligence que l’on appelle croire, et c’est ce qui est un véritable devoir quand il s’agit du devoir et de tout ce qui s’y rattache. La connaissance consiste seulement dans la démonstration ou dans l’intuition immédiate. La croyance consiste dans une opération propre et nouvelle qui de ce qui est apparent conclut à ce qui est caché, du signe à la chose signifiée, des effets aux causes, lorsque la cause est disproportionnée à l’effet, et cela, comme dit saint Thomas, «en vertu de l’empire de la volonté qui meut l’intelligence, » propter imperium voluntatis moventis intellectum.

Telle est la théorie générale de l’auteur, dans laquelle se cachent, selon nous, plusieurs équivoques qu’il importe de démêler.

M. Ollé-Laprune dit très bien et avec juste raison qu’il ne suffit pas de connaître la vérité, qu’il faut l’aimer; mais cela n’est-il pas vrai de toute vérité, même spéculative? On peut dire, même d’un géomètre, que, s’il n’aime pas la vérité géométrique, si les conceptions géométriques le laissent froid, s’il n’est pas saisi d’enthousiasme devant les nombres et les figures, il ne sera jamais un grand géomètre. On nous rapporte de Pythagore qu’il voua une hécatombe à Jupiter lorsqu’il eut découvert le théorème du carré de l’hypoténuse. Nous savons aussi de Descartes que le jour où il découvrit « l’invention merveilleuse, » comme il l’appelle, c’est-à-dire l’application de l’algèbre à la géométrie, il fit vœu d’un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette. Malebranche, lisant le traité aride de Descartes sur l’Homme, éprouva de si violentes palpitations qu’il pensa se trouver mal. Voilà l’enthousiasme du savant, du philosophe! voilà le signe divin! voilà comment la vérité ne parle pas seulement à l’esprit, mais à l’âme! Et si cela est vrai pour les objets purement abstraits, combien à plus forte raison pour les choses morales! Savoir qu’il y a un Dieu sans lui donner son âme, savoir que nous possédons la liberté sans en être fiers et sans être prêts à tout pour sauver une telle prérogative contre toute atteinte, savoir qu’il y a une vie future et être incapable de sacrifier sa vie pour la confesser, voilà sans doute des vérités mortes, froides, stériles. « Malheureuse, dit Bossuet, la connaissance qui ne se tourne pas à aimer! » Tout cela est vrai, et personne n’y contredit.