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sous ces impressions contradictoires que M. Benedetti rendit compte de l’entretien.

« Il serait peut-être téméraire, écrivait-il, de compter sur les assurances de M. de Bismarck et de croire à sa bonne foi, mais bien qu’il ne soit pas scrupuleux sur les moyens, il m’en coûte d’admettre qu’il nous ait engagés à réclamer la cession du Luxembourg avec l’arrière-pensée d’y mettre obstacle. J’incline plutôt à supposer que le souverain et le ministre, en face de l’irritation qui se manifeste en Allemagne, cherchent à établir qu’ils n’ont rien encouragé et à laisser croire qu’ils ont été surpris. La chose faite, ils en témoigneront du mécontentement, tout en déclarant qu’elle ne saurait justifier un conflit entre la France et l’Allemagne. Ce qui est essentiel et urgent, c’est de déterminer le roi des Pays-Bas à signer l’acte de cession. Ceci fait, il ne nous restera plus à surmonter que des obstacles faciles à vaincre. Si on s’était contenté d’interroger diplomatiquement M. de Bismarck, nous aurions obtenu une réponse dont on aurait pu se contenter. On a préféré interroger le roi ; il n’a répondu ni oui, ni non, c’est déjà beaucoup, mais qu’on n’insiste pas davantage et qu’on passe outre. » Le même soir, M. de Bylandt et M. Benedetti, après s’être concertés, télégraphiaient à leurs gouvernemens : « Il faut se hâter, car l’esprit public se montre chaque jour plus ému et plus hostile à l’abandon du Luxembourg. »

Les résolutions s’imposaient à Paris et à La Haye. Il fallait rompre ou conclure. Le roi grand-duc était toujours tiraillé en tous sens, indécis et perplexe ; il s’agissait de tenter un suprême effort pour vaincre ses derniers scrupules. La diplomatie officielle était à bout d’argumens ; on s’en remit aux argumens de la diplomatie occulte.

Le 30 mars, toutes les difficultés étaient aplanies, le roi était convaincu, et le gouvernement fléchissait à son tour sous l’influence de M. de Bylandt.

Le jour même, l’empereur recevait le prince d’Orange, qui lui apportait le consentement de son père. Le prix d’acquisition étant déjà fixé et en partie réglé, le roi de Hollande s’en remettait entièrement à nous pour le reste. M. Baudin, mandé par le télégraphe, arrivait à Paris le 31 au matin et il repartait le soir même pour La Haye muni d’instructions verbales et d’une lettre de l’empereur pour le roi, disant qu’il prenait sur lui la responsabilité de tout vis-à-vis de la Prusse et le pressant de signer immédiatement. « Nous voici arrivés à l’instant décisif, télégraphiait M. de Moustier à notre ambassadeur à Berlin ; prenez toutes vos précautions. L’empereur considère la question comme vidée et tout retour en arrière comme impossible. » C’était un Alea jacta est.

M. de Moustier ne traçait pas ces instructions sans émotion, il