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libre d’adopter sous sa responsabilité telle résolution qu’il jugerait convenable. Il prendrait d’ailleurs les ordres du roi, et il adresserait au comte Perponcher une dépêche en réponse à celle que M. de Bylandt avait ordre de lui communiquer. Il annonçait que sa réponse serait incolore.

M. de Bylandt s’empressa de rendre compte à notre ambassadeur de son entretien avec le président du conseil. Ils n’avaient rien à se cacher.

« L’impression de M. de Bylandt, écrivait M. Benedetti, est qu’on veut la transaction en restant libre de la blâmer, et il le télégraphie à La Haye. M. de Bismarck ne lui aurait pas dissimulé que cette affaire provoquait en Allemagne une vive agitation qui grandissait chaque jour, et il lui aurait donné à entendre qu’il importait de se hâter. En somme, M. de Bismarck a tenu le langage que j’ai toujours annoncé, et le ministre des Pays-Bas en a parfaitement saisi le véritable sens. Il serait urgent maintenant de passer à la signature de la cession. »

M. de Bylandt et M. Benedetti agissaient en commun et dans un parfait accord ; ils se communiquaient leurs impressions, posaient à tour de rôle des questions au président du conseil ; ils combinaient leurs démarches et leurs paroles ; ils s’efforçaient de dissiper les équivoques et d’obtenir du cabinet de Berlin un assentiment soit public, soit secret, à la combinaison que poursuivaient leurs gouvernemens. Il leur semblait à tous deux que M. de Bismarck jouait cartes sur table. S’il ne leur dissimulait pas les difficultés, il ne les décourageait pas. Il leur montrait le roi tel qu’il était et tel qu’il devait être, plutôt hésitant que mal disposé. Il se préoccupait du parlement et il signalait l’agitation grandissante de l’opinion publique ; mais il ne leur disait pas de s’arrêter, de rebrousser chemin, il leur disait au contraire de se hâter, et il n’était pas douteux pour eux que, si des manifestations se produisaient au parlement, il monterait sur la brèche et saurait les conjurer.

M. de Bylandt était à peine sorti du cabinet du ministre, que M. Benedetti s’y montrait à son tour. M. de Bismarck lui communiqua le rapport de son envoyé à La Haye. Voici textuellement ce que le roi grand-duc avait dit au comte Perponcher :

« Je vous ai prié de venir chez moi parce que je tenais à vous dire que l’empereur des Français m’a demandé de lui céder le Luxembourg, mais je ne veux rien faire à l’insu du roi de Prusse, et il m’a semblé que je ne pouvais mieux agir qu’en vous en informant franchement. J’ai écrit à l’empereur des Français que je m’en remettais à sa loyauté pour qu’il s’entendît à ce sujet avec votre souverain. Je vous prie d’en rendre compte au roi, qui, je l’espère, saura apprécier la franchise avec laquelle j’agis en cette affaire. »