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armemens ne discontinuaient pas ; les officiers portaient la tête haute et annonçaient que les temps étaient proches ; les journaux inspirés ne ménageaient plus la France, elles diplomates prussiens accrédités auprès des cours du Midi tenaient un langage de plus en plus équivoque. Ils enjoignaient aux gouvernemens de hâter la réorganisation de leurs corps d’armée et leur rappelaient (qu’ils avaient signé des traités d’alliance dont l’exécution pourrait bien être réclamée plus tôt qu’ils ne le pensaient. Le vent soufflait à la guerre. On parlait de négociations que le gouvernement impérial poursuivait à La Haye pour s’assurer le Luxembourg, et les personnes bien renseignées affirmaient que, non-seulement le cabinet de Berlin ne reconnaîtrait pas au roi des Pays-Bas le droit de céder le grand-duché à une tierce puissance, mais que ses états-majors ne consentiraient jamais à l’évacuation d’une citadelle qu’ils estimaient indispensable à leurs combinaisons stratégiques.

Ces symptômes et ces propos n’échappaient pas à M. de Moustier. Ils étaient signalés et relevés chaque jour dans les correspondances qu’il recevait d’Allemagne, mais ils étaient atténués par les assurances tranquillisantes que notre ambassadeur avait rapportées de Berlin. Faire partager ses alarmes à un ministre que rassurent les gouvernemens avec lesquels il traite et qui déjà entrevoit le succès couronnant de longs et de pénibles efforts n’est pas chose aisée. Pour ébranler la confiance de M. de Moustier, il ne fallait rien moins qu’une franchise de langage autorisée par de longues années d’intime et d’affectueuse collaboration à Berlin et à Constantinople. Ce qui préoccupait le plus M. de Moustier, c’était l’état de l’opinion en Allemagne. Il tenait à savoir l’impression que produirait sur elle la cession du Luxembourg à la France. « Tout dépendra, lui dis-je, des sentimens du comte de Bismarck, dont vous êtes plus à même que moi d’apprécier la sincérité. C’est lui qui, de son cabinet, inspire et dirige l’opinion. Il l’arrêtera ou se laissera déborder par elle suivant les circonstances. Si les passions s’enflamment, il ne fera aucun effort sérieux pour réagir contre le courant. Méfiez-vous, c’est mon dernier mot, et surtout n’oubliez pas que vous êtes à la veille de l’ouverture du parlement du Nord. »

Sur le conseil du ministre, je demandai une audience à l’empereur. M. de Moustier tenait à ce qu’il n’ignorât pas les impressions que je rapportais d’Allemagne. L’empereur me reçut, non pas en audience privée, mais à l’issue de la messe du dimanche. C’était la seule occasion qu’il ménageait à ses agens du dehors n’appartenant pas à l’intimité des Tuileries pour l’approcher et l’entretenir, et comme ses audiences étaient nombreuses et son temps mesuré, les conversations ne pouvaient être que rapides et superficielles. Il