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le roi à demander dès à présent à la Prusse de retirer sa garnison. » Le ministre des affaires étrangères, avant d’instruire M. Baudin, avait eu soin de préparer le gouvernement néerlandais aux communications dont il allait être l’objet. Il s’était expliqué avec M. de Lichtenfeld, le ministre des Pays-Bas à Paris. Il lui avait confié que notre envoyé à La Haye serait chargé de proposer au roi grand-duc deux traités connexes : l’un défensif, qui garantirait à la Hollande le Limbourg et la couvrirait contre toute pression éventuelle de la Prusse, soit matérielle, soit morale, et le second qui assurerait à la France la cession du Luxembourg. Il lui avait dit que la Prusse était pressentie, qu’elle ne ferait aucune objection, qu’elle ne demandait qu’à se laisser forcer la main, la cession étant pour elle le moyen de retirer sa garnison sans blesser le sentiment allemand. Il avait ajouté que l’empereur n’était animé d’aucun esprit de conquête, qu’il ne cédait qu’à des nécessités politiques et stratégiques, qu’il lui était impossible de laisser sur la frontière de la France, arbitrairement, entre les mains de la Prusse, une forteresse de premier ordi-e et qu’il avait à tenir compte de l’amour-propre de son pays, déjà si vivement froissé par les derniers événemens. M. de Moustier ne cachait pas que, si cette satisfaction étant refusée à l’empereur, l’opinion publique irritée le forcerait à faire la guerre dans un temps plus ou moins rapproché. La guerre, disait-il, serait une calamité pour tout le monde, et la Hollande en serait la première victime : elle lui coûterait le Limbourg et peut-être son indépendance.

« La marée prise à flot mène à la fortune, » a dit Shakspeare. Déjà la marée avait baissé à La Haye. Le traité de cession et de garantie, qu’on eût signé des deux mains quelques semaines plus tôt, n’était plus accepté que sous bénéfice d’inventaire. On demandait à réfléchir, on trouvait qu’il y manquait quelque chose d’essentiel : la certitude que la Prusse ne s’offusquerait pas d’une entente dont elle était appelée à faire les frais. Sur ce point cardinal, la diplomatie française ne fournissait que des assurances, elle ne produisait aucun acte probant. « Nous avons affaire à des gens timides, indécis, écrivait M. Baudin, qui se méfient un peu de nous et hésitent à se lier à cause de l’instabilité de notre avenir diplomatique. M. de Zuylen me l’a clairement fait comprendre en exprimant des appréhensions au sujet d’une régence possible du prince Napoléon, dont les relations avec le roi sont fort mauvaises. »

Comme on le voit, la santé de l’empereur et la transmission de son pouvoir préoccupaient les cours étrangères et s’imposaient aux calculs de leur politique. « Nous aurons pour nous, ajoutait M. Baudui, le prince d’Orange, entièrement Français, le roi, j’espère, et les hommes chez qui le patriotisme l’emporte sur la timidité. Mais M. de Zuylen manque à la fois de résolution et d’inclinations françaises.