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mais après ses mésaventures sur le Rhin, la Hollande s’était forcément imposée à sa sollicitude. Nous n’avions pas, comme avec la Prusse, pour l’attirer à nous, à violenter son tempérament ; elle ne manifestait ni doute ni hésitation, elle avait l’entrain et la conviction qui, d’après M. de Moustier, devaient présider aux alliances et qu’il regrettait de ne plus rencontrer à Berlin.

Le cabinet des Tuileries allait donc poursuivre de front, à Berlin et à La Hâve, deux négociations dont M. de Bismarck tenait en réalité tous les fils. Il pouvait intimider ou rassurer à son gré le gouvernement néerlandais, le pousser ou l’arrêter suivant ses convenances. Il était maître du jeu, il avait deux rois à sa disposition qu’il faisait manœuvrer à sa guise. Il fallait de l’audace ou une confiance exagérée pour engager la partie dans de telles conditions, d’autant plus que les correspondances d’Allemagne devenaient de jour en jour plus alarmantes. Elles ne se bornaient plus à relever les procédés équivoques du gouvernement prussien, ses infractions au traité de Prague, ses armemens continus, elles parlaient d’alliances secrètes, d’agressions préméditées. Voici ce qu’on écrivait, à la date du 15 février, à l’heure même où le gouvernement impérial allait ouvrir ses pourparlers avec le roi des Pays-Bas et le cabinet néerlandais : « … On prête à M. de Bismarck les projets les plus sinistres. On dit qu’il aurait l’intention de consommer en pleine exposition universelle, dès que ses armemens seront terminés, l’œuvre qu’il poursuit en Allemagne. On dit aussi qu’il serait d’accord avec le prince Gortschakof et que, le moment venu, le cabinet de Berlin et le cabinet de Pétersbourg signeraient un traité offensif et défensif dont les bases seraient déjà concertées. La Russie laisserait faire la Prusse en Allemagne, se réservant toute sa liberté d’action en Orient, et si l’Autriche, qu’elle se chargerait de tenir en échec, dans l’éventualité d’une guerre avec la France, devait sortir de sa neutralité, les deux cours s’entendraient sur le partage de ses dépouilles. Je suis loin de me porter garant d’aussi ténébreuses combinaisons ; mais à défaut de preuves évidentes, il est cependant des présomptions morales qui autorisent à croire qu’une entente intime, d’un caractère plus ou moins menaçant, s’est établie entre les deux gouvernemens. Il est impossible, en effet, de s’être pas frappé du désintéressement qu’affecte aujourd’hui la diplomatie russe à l’endroit de l’Allemagne, à laquelle la cour de Pétersbourg est cependant si étroitement rattachée et par les intérêts traditionnels de sa politique et par les liens de la parenté[1]. »

Ces informations n’avaient pas, sans doute, le caractère de la

  1. Dépêche de Francfort.