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La reine Sophie avait plus d’une ressemblance avec son père, le roi Guillaume de Wurtemberg, qui passait pour avoir été, de tous les souverains d’Allemagne, le plus intelligent et le plus avisé. Elle joignait à une instruction des plus variées, à une volonté nette et précise, la bonté et la fidélité du cœur ; « elle était reine des pieds à la tête. » Au temps de son épanouissement, elle apparaissait majestueuse et belle comme une Junon ; et plus tard, dans sa maturité, en l’écoutant disserter sur la littérature et la politique, on pensait involontairement à la grande Catherine ; elle descendait du reste des Romanof, sa mère était la sœur d’Alexandre Ier. Elle eût marqué à coup sûr dans l’histoire si, au lieu d’être reléguée sur un trône modeste, le sort lui avait réservé une couronne digne de l’activité et de la sûreté de son intelligence. C’est à Paris qu’elle venait de préférence se distraire des sévérités de La Haye. Elle aimait la cour des Tuileries, mais elle n’y recherchait que les satisfactions du cœur et de l’esprit. Elle avait, comme la reine d’Angleterre[1], un penchant marqué pour l’empereur, mais son affection était moins idéale, elle avait un caractère plus viril, elle se reportait moins sur la personne que sur le politique. La lettre qu’elle écrivait le 18 juillet 1866 au baron d’André, notre ministre à La Haye, et qu’on a retrouvée dans les papiers d-s Tuileries, montre avec quelle mâle sollicitude elle s’adressait à la volonté défaillante de Napoléon III.

« Vous vous faites d’étranges illusions, disait-elle. Votre prestige a plus diminué dans cette dernière quinzaine qu’il n’a diminué pendant toute la durée du règne. Vous permettez de détruire les faibles ; vous laissez grandir outre mesure l’insolence et la brutalité de votre plus proche voisin ; vous acceptez un cadeau (la Vénétie) et vous ne savez pas même adresser une bonne parole à celui qui vous le fait. Je regrette que vous me croyiez intéressée à la question et que vous ne voyiez pas le danger d’une puissante Allemagne et d’une puissante Italie. C’est la dynastie qui est menacée, et c’est elle qui en subira les suites. Je le dis parce que telle est la vérité que vous reconnaîtrez trop tard. Ne croyez pas que le malheur qui m’accable dans le désastre de ma patrie (le Wurtemberg) me

  1. « Il est étonnant, a dit la reine Victoria dans ses Mémoires, combien on s’attache à l’empereur ; il est si calme, si simple, presque naïf, si heureux d’être renseigné sur les choses qu’il ignore, si aimable, si rempli de tact, de dignité, de modestie ! Je connais peu de personnes auxquelles je me sois sentie aussi instantanément portée à me confier et à parler sans réserve. Il n’y a rien que je craignisse de lui dire. Je me sentais, — je ne sais comment m’exprimer, — en sécurité auprès de lui. Sa société est particulièrement gaie et agréable ; il a quelque chose de fascinant, de mélancolique, d’engageant qui attire à sa personne, en dépit de toutes les préventions qu’on pourrait avoir contre lui, et certainement sans l’aide d’aucun avantage personnel extérieur ; sa figure est de celles qui plaisent. »