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brusquement, quelques heures après ce refus, le vieux chérif Abdul-Moutaleb, spécialement recommandé à son choix par son aversion pour les Anglais. Abdul-Moutaleb avait, en outre, l’avantage d’appartenir à la famille des Devized, rivale de la puissante famille des Abadites, qui a occupé l’émiriat de la Mecque avant que celui-ci tombât définitivement en la possession du califat ottoman, et autour de laquelle se concentrent encore les espérances des séparatistes arabes. Il est clair, en effet, que, si ces derniers parvenaient à replacer l’émiriat entre les mains d’une famille indépendante de Constantinople, en dépossédant la dynastie régnante de la Turquie, le mouvement religieux anti-turc prendrait aussitôt une grande consistance, et l’organisation actuelle du califat serait profondément atteinte. On prétend que, pour conjurer tout à fait ce danger, Abdul-Hamid a songé à faire reconnaître le titre suprême de calife à quelque descendant, plus ou moins authentique, de Mahomet, à la condition d’être en même temps adopté par lui et de s’assurer la transmission du titre par voie d’hérédité. Ce serait peut-être le vrai moyen de faire cesser la lutte sourde, mais très ardente, qui persiste entre une partie du personnel religieux de la Mecque et le sultan. Abdul-Hamid est persuadé que cette lutte est plus ou moins l’œuvre de l’Angleterre. Aussi, après avoir nommé Abdul-Moutaleb dans les conditions que je viens de dire, a-t-il pensé à lui donner un lieutenant plus jeune et plus capable de contre-carrer les projets des Anglais. L’homme qu’il semble avoir choisi à cet effet est le cheik Fadyl, personnage peu connu, mais qui a pris une certaine importance religieuse et politique à la suite de l’assassinat du chérif Husni. Le cheik Fadyl avait vécu longtemps dans l’Inde, où il servait d’agent aux Anglais ; mais s’étant brouillé avec eux, il était venu à Constantinople. Le sultan l’employait à la propagande politico-religieuse très active qu’il entretient dans les possessions britanniques comme une arme de guerre dont il pourrait user à l’occasion. Le cheik. Fadyl y mettait le zèle qu’on met d’ordinaire à trahir ceux à la solde desquels on a été lorsqu’on cesse d’être d’accord avec eux. Ayant fait ses preuves de dévoûment, il a paru capable de remplir une mission plus importante. Abdul-Hamid l’a donc envoyé dans un gouvernement mal défini en Arabie, en lui confiant la libre disposition de toutes les forces militaires concentrées dans ces régions, et en le chargeant spécialement de nouer des relations avec les chefs des tribus arabes pour essayer de les détacher de l’Angleterre et de leur faire comprendre combien il leur serait avantageux de remettre au sultan la direction de l’alliance musulmane universelle.

Si le sultan se bornait à défendre son titre de calife et à combattre les tendances séparatistes qui ont éclaté dans son empire, à