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dans les bras d’un auteur en vogue, il reprend, avant de monter le Serge Panine de M. Olinet, une série de vaudevilles ou plutôt de comédies-vaudevilles, bien choisies pour plaire à un public raisonnable et pour servir en même temps, comme je le disais plus haut, à l’instruction de ces jeunes auteurs qu’il laisse venir à lui.

La Joie de la maison, tout agréable que soit la pièce, n’avait guère réussi : le public n’avait goûté qu’avec des réserves maussades les grâces fanées de Mme Lagrange-Bellecour dans le rôle d’une ingénue de seize ans. Vite un autre spectacle a paru sur l’affiche, composé de deux pièces que notre génération ne connaissait guère et qui ne manquent pas d’intérêt : On demande un gouverneur, de MM. A. Decourcelle et Jaime fils, et Brutus, lâche César, de J.-B. Rosier. On demande un gouverneur appartient à cette littérature ingénieusement optimiste, qui, tout compte fait, valait bien un certain genre désabusé; cela n’était pas plus sot que tel ouvrage qui, de nos jours, se donne pour moins naïf parce qu’il est moins honnête et moins gai. Le héros, M. Frédéric, est un de ces excellens mauvais sujets qui se chargent volontiers, pour peu qu’on ait confiance en eux et qu’ainsi on les relève dans leur propre estime, d’arracher en moins d’une heure un honnête homme aux griffes d’un escroc, sa femme aux mains gantées d’un galant, son fils aux ongles roses d’une maîtresse; tout cela en riant, grâce à leur expérience joyeuse de la vie, et même sans l’arrière-pensée de la récompense qui cependant leur échoit à la fin de la pièce, — j’entends d’un mariage avec la fille, la charmante fille de l’honnête homme. Tout cela, dira quelqu’un, n’est guère vraisemblable : les mauvais sujets ne sont pas souvent si bons que cela, et d’ailleurs les pères sont rares qui font cette expérience de confier à un garnement inconnu l’administration de leur famille pour convertir ce garnement en le rehaussant à ses propres yeux. D’accord : je ne donne pas ce vaudeville pour une œuvre des plus fortes; mais il est agréable à voir, bien construit pour la scène, — sans excès d’artifice, — lestement mené par M. Frédéric Achard dans le rôle créé par Fechter; et il sert au début de Mlle Camille Linville, une aimable ingénue à qui M. Corbin donne gentiment la réplique.

Vous avez peut-être lu, ce printemps dernier, dans les journaux, la lettre d’un « adaptateur » ou d’un directeur anglais, à qui M. Sardou avait réclamé quelques droits sur une pièce imitée de la Papillonne. Malhabile à parer le coup droit de M. Sardou, cet industrieux voisin cherchait à faire un coup fourré. Plutôt que de se justifier d’être un larron de lettres, il accusait M. Sardou d’être lui-même un plagiaire ; et, pour trait du Parthe, il lançait une allusion à Divorçons, dont les bénéfices, à l’en croire, auraient dû revenir à l’auteur de Brutus, lâche César.

Vous n’imaginez pas, je pense, que Brutus, lâche César soit un drame historique : César n’est là qu’un chien de garde et Brutus qu’un portier,