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mûrs pour la servitude et disposés à tous les abandonnemens, à toutes les obéissances, que, sur un signe de leur maître, ils sacrifieraient sans balancer le saint-père à César, celui qui tient les clés à celui qui brandit le glaive. Il avait fait trop bon marché de l’autorité persistante des croyances, des traditions, des habitudes séculaires; il a dû reconnaître que César était insuffisant à remplir les âmes et à posséder les consciences. Il espérait que le concile du Vatican enfanterait un schisme ; les évêques allemands qui avaient protesté contre le nouveau dogme l’ont déconcerté par la rapidité de leur soumission. Il se flattait de trouver un appui solide dans le vieux catholicisme; ce roseau s’est dérobé sous la pesanteur de sa main. Il se flattait aussi que, par ses manœuvres, par ses violences, par ses ruses, il parviendrait à désagréger ce parti d’opposition compact qui s’appelle le parti du centre et qui, recruté parmi les catholiques de toutes les classes et de toutes les provinces du royaume, se compose des élémens les plus disparates. Ce parti ne s’est pas laissé dissoudre; les grands seigneurs réactionnaires et féodaux sont demeurés comme soudés avec ces chapelains de bas étage, aux allures révolutionnaires, à l’éloquence criailleuse et débraillée, qui se prêtaient sans remords à conclure avec les socialistes des alliances électorales et des pactes de circonstance. La parole du prisonnier du Vatican a suffi pour maintenir l’unité du parti. On a continué de marcher coude à coude sous la conduite de cet ancien ministre du roi de Hanovre, dont M. de Bismarck a dit « que l’huile de sa parole n’est pas de cette espèce qui adoucit les blessures, mais de celle qui attise les flammes, les flammes de la colère. »

Bien que sa campagne n’eût abouti qu’à lui créer de gros embarras en désorganisant une dizaine de diocèses et près de deux mille paroisses, M. de Bismarck a mis du temps à revenir de ses illusions, à changer de système et de méthode. Il ne se rebute pas aisément, les batailles ne lui ont jamais fait peur; il se sent de force à mettre ses adversaires hors d’haleine et sur le flanc. Cependant la lassitude gagnait de proche en proche autour de lui. Les conservateurs prussiens n’avaient voté qu’à regret et en soupirant les lois de mai. Le clergé évangélique les goûtait peu; il les jugeait dangereuses pour sa propre indépendance. Plus d’un membre de la famille royale estimait que, pour combattre les menées des socialistes et des révolutionnaires, ce n’était pas trop de la coalition de toutes les forces conservatrices du royaume et que l’exaspération des catholiques ne pouvait profiter qu’à la démagogie. On raconte que, dans l’automne de 1879, lors des grandes manœuvres, l’évêque de Strasbourg logeait chez lui la famille grand-ducale de Bade. Il eut un matin la surprise de trouver la grande-duchesse, fille de l’empereur Guillaume et zélée protestante, agenouillée