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nous avons conclu avec lui une alliance scellée par le sang de chacun et ayant Dieu pour témoin. Par ce contrat, nous nous sommes engagés à briser son joug et à lui faire partager avec nous tous les avantages et toutes les gloires de la liberté. » Voilà pour les affranchis. «Quant à l’avenir, ajoute-t-il, nous ne devons jamais rien faire qui ne soit en rapport avec l’esprit et le génie de nos institutions. Le but de nos efforts doit être : rien pour la revanche, tout pour la sécurité; oublions le passé, songeons au présent et à l’avenir. Hélas ! rien ne pourra réparer les pertes que nous avons subies. Les quatre cent mille tombes où dorment nos pères, et nos frères frappés dans la lutte contre les rebelles, resteront fermées jusqu’à ce que l’ange de la résurrection fasse l’appel des morts. Mais détournons nos regards de ce triste et glorieux passé et cherchons dans la justice une sécurité que rien ne puisse désormais troubler. »

Garfield a siégé au congrès pendant dix-sept ans, d’abord comme représentant et plus récemment comme sénateur de l’Ohio. Il n’ambitionnait pas de position supérieure à celle que ses concitoyens venaient de lui confier presque à l’unanimité. Chaque état, on le sait, ne nomme que deux sénateurs. Représenter au sénat fédéral l’Ohio, qui est grand comme l’Angleterre et qui donne souvent le ton à la politique générale, est donc une des plus hautes dignités de la république.

Garfield fut désigné comme candidat à la présidence à l’improviste et, s sans qu’il eût fait la moindre démarche à cet effet. La « convention » du parti républicain s’était réunie, dans l’automne de 1880, à Chicago, pour choisir le nom sur lequel devaient se concentrer partout les votes de ses partisans. Elle se composait de sept cent cinquante-six délégués de tous les états et parmi ceux-ci se trouvait Garfield. Trois concurrens étaient en présence: l’ex-président Grant, ardemment soutenu par un parti puissant à la tête duquel était le sénateur de New-York, Conkling, le sénateur du Maine, Blaine, et Sherman, l’ancien ministre du trésor, qui avait si admirablement géré les finances fédérales. Pendant plusieurs jours on discuta et on vota sans arriver à un résultat: aucune majorité ne se formait. Garfield soutenait la candidature de Sherman. Il prit la parole à plusieurs reprises et, chose exceptionnelle dans une assemblée où les compétitions avaient vivement surexcité les passions, il était toujours écouté avec la plus grande déférence. C’était la preuve évidente de l’estime générale qu’il avait su conquérir. Il en ressortait que le parti républicain ne pouvait présenter aux suffrages du pays un nom plus populaire. Ce fut l’idée qui surgit spontanément de tous les côtés à la fois. Des lettres, des télégrammes, des articles de journaux arrivaient de partout répétant : « Prenez Garfield. » La vox populi fut écoutée par la convention, fatiguée de recommencer, des jours