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parole, le pathétique, la puissance d’action du jeune professeur, m’ont laissé un souvenir ineffaçable. » En 1859, le district sénatorial dans lequel était situé le lieu de sa résidence, Hiram, élut Garfield sénateur de l’état de l’Ohio. L’énergie de ses convictions, la vigueur de son esprit et l’éloquence de sa parole le placèrent bientôt à la tête du parti républicain radical, avec J.-D. Cox, plus tard ministre de l’intérieur sous le président Grant, et James Monroe, l’un des hommes les plus populaires de sa région. Garfield n’avait encore que vingt-huit ans ; il était le plus jeune membre du sénat de l’Ohio.

Quand Lincoln fut élu président, il devint certain que le Sud prendrait les armes pour constituer une confédération indépendante sur la base de l’esclavage. Les états où dominaient les adversaires de « l’institution » décidèrent d’armer à leur tour, même avant que le gouvernement central eût songé à se défendre. En janvier 1861, le sénat de l’Ohio discutait un bill ayant pour objet l’équipement de six mille hommes. Garfield prononça à ce sujet un discours qui exerça une influence décisive, parce qu’il dessinait nettement la situation. On reprochait à ceux qui voulaient prendre des mesures énergiques d’attenter à l’indépendance des états et d’avoir recours à la « coercition, » reproche grave dans un pays si jaloux de toutes ses libertés. Voici la réponse que fit Garfield : « Si, par ce mot « coercition, » vous entendez que le gouvernement fédéral déclarera et fera la guerre à un état particulier, je ne vois aucun homme sérieux, démocrate ou républicain, qui préconise une semblable mesure. Mais si le sens de cette parole est que le gouvernement général doit défendre les lois, quels que soient ceux qui les violent; qu’il doit protéger la propriété et le drapeau de l’Union; qu’il doit punir les traîtres à la constitution, qu’ils soient dix ou qu’ils soient dix mille, alors je suis « coercitioniste, » la grande majorité de ce sénat et les neuf dixièmes des habitans de l’Ohio sont « coercitionistes, » je dis plus, tous les citoyens de l’Union sont « coercitionistes, » sinon ils sont des traîtres. »

On se rappelle l’admirable mouvement qui souleva les populations du Nord après le désastre de Bull-Run, en juillet 1861, et qui amena successivement sous les drapeaux de l’Union plus de deux millions de volontaires. M. Masson cite quelques vers de Bret Harte, qui rendent bien cet élan héroïque :

Écoutez : j’entends la marche des multitudes,
Et le bruissement de la foule armée.
Voyez : les bataillons sortis du peuple se sont réunis
Autour du tambour qui, en hâte, bat l’alarme,
Disant : Accourez,
Hommes libres, accourez,