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le batelier du canal de l’Érié, avait fait du chemin. La goutte d’eau montait. Sa méthode d’enseignement fut très remarquée. Il visait surtout à faire des hommes. Il s’efforçait de développer l’initiative individuelle. Il attachait aussi la plus grande importance aux exercices corporels. Après avoir dirigé lui-même une partie de balle ou de cricket, il faisait rédiger par ses élèves une dissertation sur un sujet emprunté tantôt à la littérature ancienne, tantôt aux événemens contemporains. Comme, aux États-Unis, tout homme majeur prend sa part dans la direction des affaires publiques de la commune, du comté et de l’Union, il croyait qu’on ne peut assez tôt préparer les jeunes gens à remplir leurs devoirs de citoyen. Quoiqu’il ne fut pas ordonné pasteur, il montait souvent en chaire pour y prononcer le sermon du dimanche, et il s’était acquis ainsi, comme prédicateur, une grande réputation d’éloquence.

Jusqu’à ce moment, tout entier à ses études, Garfield s’était peu occupé de politique. Mais quand, en juin 1856, le parti du freesoil eut publié un manifeste très net et très vif en faveur de l’abolition de l’esclavage et même désigné comme candidat à la présidence le général Fremont, abolitioniste ardent, ce fut une question de justice et d’humanité qui se posa devant le pays et qui devint le point de séparation des partis.

Cette grande cause ne pouvait laisser indifférent un cœur généreux, dévoué à la justice et à la liberté. Garfield se jeta dans la mêlée avec une ardeur et un dévoûment qui allaient jusqu’au sacrifice de la vie. L’épreuve était suprême et il ne l’ignorait pas. C’était l’avenir de la grande république, l’unité du pays qui était en jeu. Le Sud, pour sauver « l’institution divine, » « la pierre angulaire » de son état social, n’hésiterait pas à lever l’étendard de la révolte. Il faudrait donc vaincre la sécession, les armes à la main, ou se résigner au démembrement de cette patrie qu’on se plaisait à rêver immense, embrassant le continent américain tout entier. Garfield était de ceux qui cherchent d’abord le « royaume de Dieu, » c’est-à-dire le règne du droit. Sa devise était celle des gens de foi qui ne doutent pas du triomphe final du bien : Fiat justitia, pereat mundus. Pendant. les campagnes électorales de 1857 et 1858, où l’on procéda au choix des membres de la législature des états particuliers, il prononça un grand nombre de discours contre l’extension de l’esclavage et conquit ainsi beaucoup d’influence et de popularité dans son état natal, l’un des plus importans de l’Union, l’Ohio. « Quoiqu’il y ait déjà un quart de siècle, dit M. Peixotto, le traducteur du livre qui nous sert de guide, je me rappelle encore l’immense impression produite par ses discours. C’est le plus grand effet oratoire auquel j’ai assisté. L’élévation des sentimens, l’éloquence de la