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à des tentations qui sont inconnues au riche, et c’est là surtout que l’inégalité se retrouve. Aussi le problème de l’inégalité des conditions n’est-il rien auprès de celui de l’inégalité des tentations. À ce problème on ne peut répondre que par la foi en une justice plus parfaite que la nôtre, auprès de laquelle les défaillances de la misère trouveront une indulgence qu’elles devraient d’abord rencontrer chez nous. Aussi mes jugemens paraîtront-ils peut-être à quelques-uns d’une morale un peu relâchée; mais à ceux-là je me permettrai de citer en terminant les paroles d’une femme dont on ne s’étonnera pas de retrouver deux fois le nom dans une étude consacrée aux classes populaires, de la sœur Rosalie. Lorsqu’elle remarquait chez les pieuses compagnes qui l’assistaient dans son œuvre quelque découragement, lorsqu’elle sentait leur zèle refroidi par les mécomptes dont étaient trop souvent payées leur charité et la sienne : « mes enfans, leur disait-elle, n’accusez pas trop les pauvres. C’est leur faute, dit le monde; ils sont lâches, ils sont inintelligens, ils sont vicieux, ils sont paresseux. C’est avec de telles paroles qu’on se dispense du devoir si strict de la charité. Si nous avions passé par les épreuves de ces pauvres gens, si notre enfance avait grandi, comme la leur, loin de toute inspiration chrétienne, nous serions peut-être loin de les valoir, car les vertus qui nous sont si faciles coûtent à leur indigence de lourds et perpétuels sacrifices, et, pour ne pas mal faire, ils ne sont pas obligés de résister seulement à l’attrait du plaisir, mais à la tyrannie du besoin. Dieu nous rendra responsables de ces fautes que nous reprochons si sévèrement aux pauvres, de leur envie, de leurs mauvaises dispositions contre la société. Il dépend de vous seuls de leur faire bénir vos privilèges et aimer votre supériorité; qu’ils vous trouvent plus affectueux, plus serviables à mesure que vous êtes plus intelligens et plus riches. Ils vous tiendront compte du chemin que vous aurez parcouru pour vous rapprocher d’eux et trouveront un motif de reconnaissance et non d’hostilité dans la distance qui vous sépare. Souvenez-vous que le pauvre est encore plus sensible aux bons procédés qu’aux secours et qu’un des plus grands moyens d’action sur lui, c’est la considération qu’on lui témoigne. » Et elle ajoutait cette belle parole qui semble inspirée du souffle même de l’Évangile : « Mes enfans, haïssez le péché, mais aimez les pauvres. »

Il ne nous a pas fallu moins de deux études pour constater les conditions matérielles et morales où vit la misère. Nous consacrerons les suivantes à rechercher quelles sont les causes de cette misère et, dans une certaine mesure, les remèdes.


OTHININ D’HAUSSONVILLE.