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ont cessé de croire à leurs symboles même entachés d’erreur, la désorganisation morale a marché de pair avec les progrès de l’incrédulité. Tant il est vrai que les principes d’une morale abstraite et sans sanction ont peu de prise sur l’humanité ! Or tous ceux qui ont étudié de près, depuis un certain nombre d’années, l’état moral du peuple de Paris, ont reconnu chez lui les symptômes de cette désorganisation. Sans doute, on trouve encore sous plus d’un humble toit, chez les femmes surtout, d’admirables exemples de courage de résignation, de dévoûment, et il y a telle de ces femmes à la cheville de laquelle ne vont pas toutes nos saintetés mondaines. Sans doute, on rencontre souvent aussi des ménages d’ouvriers qui, vivant sans peine des produits d’un travail assuré, mènent une vie régulière, élevant bien leurs enfans et n’ont, sous le rapport de l’honnêteté, à recevoir des leçons de personne. Mais, à côté de ces exemples, combien d’hommes vivant dans la débauche, combien de filles mères, combien de femmes se livrant à la prostitution, combien de misérables en tirant parti! quel développement de la criminalité! Et encore, chez ceux-là même qui ne sont pas personnellement livrés à l’inconduite, combien de complicités, combien de tolérances, combien d’indifférence morale! Je ne donne aucun chiffre, parce que je reviendrai plus tard en détail sur ces tristes sujets; mais il y a là comme une marée montante dont il ne faut pas se dissimuler les progrès, et le seul étonnement qu’on doive éprouver, c’est que le mal ne soit pas plus profond et plus étendu encore.

Ce malheureux peuple de Paris est en quelque sorte livré sans défense à toutes les tentations en même temps que ceux qui s’adressent à lui ne s’appliquent qu’à troubler ses idées, à échauffer ses passions ou à exploiter ses vices. Arrêtez-vous à la devanture de quelqu’un de ces petits libraires qui, dans les quartiers populaires, font commerce de journaux, de livres et de gravures; qu’y trouverez-vous? Des feuilles révolutionnaires qui exagèrent aux yeux du peuple les souffrances de sa condition et lui persuadent que ses souffrances sont le fait des exploiteurs; des chansons ignobles, des images lubriques, des caricatures obscènes. Achetez pour un sou ce que vend ce crieur. Si ce n’est pas le premier numéro d’un journal qui s’efforce d’affriander ses lecteurs en leur offrant quelque feuilleton graveleux, ce sera la Misère, par Louise Michel, c’est-à-dire l’histoire d’un martyr de la commune, dont la femme et la fille sont livrées aux embûches de la police des mœurs soudoyée par un grand seigneur et un prêtre. Entrez dans ce café, une chanteuse en maillot, aux épaules nues, y fait retentir une chanson ordurière ; promenez-vous sur ce boulevard qui borde un quartier