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entre autres d’avoir admiré (c’était, il est vrai, il y a quelques années) la gravité avec laquelle une assemblée assez nombreuse réunie dans une salle de café-concert écoutait l’homélie d’un orateur anglais dont il fallait lui traduire les paroles, phrase par phrase. Ce peuple gouailleur a toujours l’oreille ouverte à qui lui parle sérieusement. Mais il a aujourd’hui créance dure, en matière religieuse du moins, et je serais bien étonné si la semence avait levé dans les cœurs des ouvriers auxquels s’adressait la conférence.

Sans doute l’éloquence de tel ou tel prédicateur pourra réunir autour de lui, comme autour de M. le pasteur Bersier, à Montmartre, un petit troupeau de fidèles qui viendront demander des émotions religieuses à sa parole et des conseils spirituels à sa charité. Mais de là à hériter de la clientèle catholique (et ce n’est à rien moins que prétend l’œuvre de M. Mac-Call), il y a singulièrement loin, et je doute fort pour ma part que ses recrues figurent en nombre appréciable sur le prochain dénombrement de la population parisienne. Cependant les écoles enfantines protestantes pourront rendre quelques services ; car moins suspectes que les écoles congréganistes, elles recevront parfois des enfans que leurs parens ne voudraient pas confier aux sœurs, et continueront à leur donner ce pur et solide enseignement de la morale chrétienne dont l’influence est si grande sur l’enfance. Visitant un dimanche à Clichy une immonde cité de chiffonniers, où des enfans demi-nus grouillaient dans la boue, je fus surpris de voir, assises sur le pas d’une porte, deux petites filles bien lavées et proprement mises, dont la plus grande faisait réciter une leçon à l’autre. Je leur pris des mains le livre qu’elles tenaient et leur adressai quelques questions. Ces deux petites filles fréquentaient une école protestante située sur la route de la Révolte, et ce livre était l’Évangile.

Si le peuple de Paris échappe de plus en plus à l’église catholique, s’il demeure sourd à la propagande protestante, quelle est donc sa religion, ou, pour poser la question véritable, le peuple de Paris n’a-t-il donc point de religion? Si l’on entend par religion un symbole arrêté, une adhésion formelle à des dogmes surnaturels, non, il faut le reconnaître, le peuple de Paris, pris dans sa généralité, n’a point de religion. Mais si l’on pousse la complaisance jusqu’à entendre seulement par ce mot un ensemble de croyances vagues, d’aspirations désintéressées et d’espérances confuses, la religion du peuple de Paris est celle que M. Corbon a appelée la croyance au salut commun sur la terre, c’est la religion du progrès, mot que le peuple n’entend point au sens vulgaire auquel nous l’entendons tous, mais auquel il attache une sorte de signification mystique. Le peuple croit à une amélioration terrestre de la condition humaine en général, à. l’ennoblissement de