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tourbillonne autour de vous et qui donne bruyamment cours à ses impressions. Le public du dimanche a des préférences où le sentiment artistique entre pour peu de chose ; il demeurera froid devant une belle allégorie comme celle de M. Baudry, à laquelle il ne comprendra rien. Les tableaux religieux ne l’attireront guère, c’est une langue qu’il ne comprend plus. Mais il se passionnera pour des tableaux qui représentent des scènes militaires de la dernière guerre et qui font vibrer chez lui la fibre patriotique, un peu détendue, cependant, depuis quelques années, ou bien il se pâmera d’aise devant la reproduction fidèle des scènes qui lui sont familières. « Comme c’est ça! » s’écrie-t-il devant une toile représentant quelque épisode de sa vie quotidienne, une querelle de ménage ou une noce bourgeoise. Cependant, il n’aime point le laid ; son sens fin en est choqué, et il préfère ce qui séduit les yeux, même aux dépens du naturel. L’année dernière, je ne sais quel journal avait distribué dans les rues, en prime gratuite, une gravure qui représentait une jeune fille caressant deux colombes dans un nid, avec cette légende : le Premier Amour. Dans nombre de pauvres ménages, j’ai retrouvé cette gravure, fichée aux murs avec quatre épingles, et rarement j’y ai vu ces stupides et immondes caricatures qui, depuis la suppression de la loi sur le colportage, s’étalent à la vitrine des kiosques. Le peuple de Paris n’est pas naturaliste et il conserve, en dépit des circonstances, un certain sens de l’idéal que toutes les grossièretés de sa vie ne parviennent pas à détruire.

Ce sens de l’idéal devrait, à ce qu’il semble, contribuer à entretenir les croyances religieuses dans la population parisienne. L’histoire de cette population nous apprend, en effet, que, loin d’être, comme on le dit parfois, sceptique et légère dans ces matières, elle a toujours été, au contraire, profondément remuée par les questions religieuses. Au temps où la croyance était universelle, elle allait, — les souvenirs de la ligue en font foi, — jusqu’à se signaler par son fanatisme. Dans les siècles suivans, elle a pris part avec passion aux querelles des jésuites et des jansénistes. Alors que déjà l’incrédulité était de mode dans l’aristocratie et gagnait la classe bourgeoise, le peuple de Paris ajoutait encore foi aux prétendus miracles du cimetière de Saint-Médard. Le grand mouvement d’impiété et de destruction religieuse qui accompagna l’explosion de 89 fut plutôt le fait des rhéteurs arrivés au pouvoir que celui du peuple lui-même, et les prêtres insermentés avaient conservé des fidèles jusque dans la classe la plus humble. Plus tard, la restauration du culte public fut vue par lui avec faveur, et les grandes cérémonies religieuses qui suivirent la signature du concordat, la venue du pape à Paris, le sacre de Napoléon, qui excitaient quelque ombrage dans la classe bourgeoise, furent saluées